L’État a confié au BRGM, depuis 2006, la gestion de l'après-mine opérationnelle en France. Le BRGM gère une partie des archives de l'entreprise Charbonnages de France, dissoute en 2007. Charbonnages de France avait réalisé de nombreux films sur la vie et le travail des mineurs, qui constituent autant de témoignages historiques sur l'exploitation de la mine en France.
23 juillet 2012

100 ans de charbon

100 ans de charbon. Houillères du Nord et du Pas de Calais. 

Film d'époque extrait de la cinémathèque de Charbonnages de France et édité en 2006 dans le cadre du DVD "Planète charbon. Une épopée, un héritage" (Période inconnue).

© BRGM - Charbonnages de France 

-100 ans de charbon, et la cité de Lens, que voici, s'est finalement écartelée aux 4 points cardinaux de ses mines. Tous les chemins de ce territoire mènent au charbon. Le long de ces chemins se sont édifiées les maisons d'une incroyable concentration. L'histoire du Pas-de-Calais est liée à celle du bassin minier. D'est en ouest, sur plus de 100 km, le ruban noir du plus important gisement houiller français n'est qu'une vaste agglomération. Une ville dont le nom change de fosse en fosse. Une ville où plus d'un million d'êtres ne vivent que pour et par le trésor noir. 

Histoire de Lens. Histoire du charbon. De 100 ans de charbon. 1852. 1952. Un siècle sommeille ici, au calme d'une étrange bibliothèque, où chaque livre raconte l'aventure d'un homme. Sur un rayon, nous avons recherché, parmi tant d'autres, les quelques souvenirs officiels du plus vieux mineur encore vivant. Il s'appelle Delattre Louis, né en 1867, mineur de fond depuis 1879, à 12 ans. Parti pour une autre aventure, le 3 septembre 1914. Et, parce qu'il était fidèle, revenu achever son destin, de 1920 à 1925. 

Après 41 ans de service, Delattre Louis bêche encore son jardin. Il ne se doutait pas qu'un jour, il assisterait, comme invité d'honneur, au centenaire d'une mine que son grand-père contribuera à creuser. Sur le carreau de son ancienne fosse, au vestiaire, où l'on attendait avec joie sa visite, papa Delattre a revêtu la tenue blanche de jadis, paradoxale des pionniers de la mine. Comme si, en ces temps où la conquête de la terre était un duel obscur, l'homme avait tenu à conserver avec lui un peu de la clarté du jour. 

Autour du mineur d'hier, on a ri, on a un peu chahuté, mais on a surtout caché, sous le rire, un de ces sentiments profonds que l'on n'expose jamais ici, que la pudeur dissimule chez les êtres forts. Tout en blaguant papa Delattre, on a donné, une fois de plus, la preuve d'une étonnante solidarité et d'un respect profond pour le métier. Puis, ce fut la descente. Le voyage véritable. Ce moment où chacun, même des plus accoutumés, a conscience de s'engager dans l'exceptionnel. Et Delattre Louis, voyant disparaître le jour, s'est enfoncé dans la nuit, dans la grande inconnue du présent et dans la recherche du souvenir. 

Mais des souvenirs de M. Delattre, il ne reste rien ici que le charbon et les hommes. Le reste a changé radicalement. Le vacarme est énorme, comme les machines. D'étranges vapeurs s'exhalent de ce bruit dans le frémissement mécanique de l'acier autour d'un mineur nouveau. Un mineur technicien et maître de la machine. 

Les souvenirs de Delattre Louis. Un trou d'hommes où, sous l'autorité du chef de famille, il était ce gamin aux pieds nus qui, dans son petit panier d'osier, ramassait la cueillette des grands. Cueillette des grands dans l'arbre de carbone. Progression lente, pénible. A petits coups d'un grattoir, que l'on nommait rivelaine. Dans la seule pauvre lueur d'une lampe à huile. Quinquet fumeux auquel on ne craignait point d'allumer sa bouffarde. Qu'importaient alors ces flammes nues, ces mains, ces torses nus. Toute cette nudité devant un esprit d'aventures dignes d'explorateurs et qui prenait ses racines dans le plus pur courage. Agriculture des profondeurs où le cheval tirait la charge comme au champ. Le temps fameux où se créaient les atavismes d'aujourd'hui, où se forgeait une tradition. Temps de ces hommes à moustache en croc. Personnages à la Jules Verne. Conseil de la mine. Descente dans un vague tonneau ou à croupetons dans les berlines. Vieux souvenirs. Vieilles gens. Photos fanées. Femmes au buste généreux, à la jupe longue. Et l'inévitable monsieur cheval, pour tirer, pousser, charrier et faire l'acrobate. Mines d'hier à l'architecture hésitante, qui n'osaient pas se proclamer ou qui adoptaient dans l'orgueil de leur poussée hâtive les folles armatures du style à la mode, galerie des machines ou Trocadéro. 

De vieux grimoires évoquent encore bien des choses. Salaire journalier : 3,25 francs. 4,50. 2,60. 1,75. Celui-ci laissait des dettes pour 27,25 francs. Untel était "capricieux". Untel "parti en Amérique". Quant à lui, "mauvais ménage dans les corons". Lui, enfin, préférait la moisson. Et là, en bas de page, une écorchure profonde laboure le souvenir. Ici commence en effet le rappel en nos mémoires la blessure que laissèrent en 1916 et 1917 les bombes allemandes. Lens et ses mines sons rasées à 100%. Offensives et contre-attaques font de la région le théâtre d'une cruelle bataille. Les fosses sont démantelées, dynamitées, noyées systématiquement. Après l'armistice, lorsqu'on les pompe, on en extrait un volume d'eau comparable à celui de la Seine, à Paris, pendant 15 jours. 

On a reconstruit tout cela avec la ferme volonté d'oublier les folles destructions de la veille. La vie ne pouvait reprendre sans charbon. Le mineur, toujours le 1er sollicité, fut une fois encore le 1er à son poste. Lens, détruite et reconstruite, était un symbole. Tout au long du gisement, en réaction contre la ruine, la fièvre du constructeur aboutissait à l'important échiquier des mines. Qui ne connaît ces noms célèbres, sonnant comme des victoires ? Valenciennes, Douai, Hénin-Liétard, Oignies, Liévin, Béthune, Bruay, Auchel. 1945, infatigable, le mineur se remet à l'ouvrage. Il s'agit de moderniser. La nation avait pris en main l'avenir de cette industrie clé. Des centaines de milliers de travailleurs allaient tendre leurs efforts vers un seul but : le charbon français, dont les houillères de la région fournissent la majeure partie. Et pour plus d'électricité, des centrales naissaient, produisant des kilowatts par milliards. La chaîne des souvenirs nous ramènent toujours au présent. 

Le rêve de M. Delattre s'est achevé dans la réalité la plus convaincante et incontestable. Le mineur n'a pas changé. L'humour non plus. Mais la technique, en se développant, a fait de cet homme le maître de forces de plus en plus grandes. "Un peu brutal pour mon âge. Mes bras en ont vu d'autres, pourtant. Mes jambes me permettront encore de faire du 4 pattes dans le charbon." Les jeunes qui étaient là, dans leur fierté de promener sur leur champ de bataille un vieux général, ont longuement expliqué. Le charbon abattu est déposé sur ce tapis roulant longeant la veine. Au bout de ce 1er parcours, il est entraîné par le ruissellement d'un 2d tapis, plus rapide déjà. Une mine, aujourd'hui, ce sont des kilomètres de caoutchouc qui circule et du charbon dessus. Le flot ira grossissant jusqu'au puits. Jusqu'au jour où d'autres tapis le charrieront. Mais il ne suffit pas d'extraire, d'abattre, il faut aussi soutenir le toit en progressant. Hier, du bois. Aujourd'hui, de l'acier. Et après 8 heures, on laissera les forces naturelles s'exercer librement en foudroyant. Chaque pilier d'acier récupéré sera remis en place plus loin, de sorte que, de colonnade en colonnade, le gâteau de charbon sera grignoté. Quant aux tapis roulants, parfois en maillons sciés, faisant la longueur du chantier, de 100 à 200 m, de l'air comprimé lui fera suivre le mouvement. C'est simple. Le cycle des opérations n'aura plus qu'à reprendre, en livrant une nouvelle tranche aux amateurs, lesquels, vous verrez, M. Delattre, ne sont pas gens à plaisanter. Et voilà. Un peu de poudre bien placée fait un travail d'enfer. Le tapis a sa pleine charge pour un bon moment. Cependant que le reste du massif, ébranlé par l'explosion, craquelé, est livré à la rage des marteaux-piqueurs. Lorsque, dans une mine, les chantiers extraient le charbon à la même cadence, et que la production déferle sur cet énorme tapis, de galerie en galerie, à attraper au vol, on imagine combien de centaines, de milliers de tonnes passent ici en une journée. La dernière cataracte vient se briser entre les mains d'un homme, qui en contrôle le débit à l'aide d'un robinet à charger les wagonnets, les berlines. Ainsi se forment les 1ers trains de charbon, les trains sous terre. 

Delattre Louis, qui voulait tout voir avant de remonter au jour, pour la dernière fois sans doute, s'est arrêté ici et s'est fait expliquer le pourquoi de ceci, de cela. Il a glané autant de souvenirs peut-être qu'il n'en avait rapportés de ses campagnes d'homme pour ses petits-enfants. Il avait bien mérité d'être ainsi informé, de pouvoir faire le point entre le passé et le présent. Cette conscience lui était due qu'entre les pionniers de jadis et les enfants de l'âge technique, il est un lien indissoluble. Héritiers de mêmes vertus, ils sont de même qualité, de même naissance. Et comme il ignorait tout de la science moderne, il tira de sa poche une pipe et une blague. On lui expliqua alors que cela ne faisait pas, ou plus. Et on lui fourra sous la moustache la chique réglementaire, qui n'eut aucun succès. Papa Delattre est indulgent. Il a souri, lissé sa moustache et a fait briquet, comme on dit ici. 

Mineurs de France

Mineurs de France. Film d'époque extrait de la cinémathèque de Charbonnages de France.

Film extrait de la cinémathèque de Charbonnages de France et édité en 2007 dans le cadre du double DVD "Du charbon au pays de Cézanne, Histoire des mineurs dans le Centre-Midi", sur l'histoire des mineurs et du charbon en Provence et dans le Centre-Midi (1947). 

© BRGM - Charbonnages de France

24 août 1944. Tandis que l'ennemi, traqué sur les routes et villages de France, tente de regagner son repaire, les blindés, avant-coureurs des armées libératrices, font leur entrée dans la capitale. Tous ceux qui vécurent ces heures historiques, eurent le sentiment que la libération de Paris mettait un terme définitif au malheur de la France et que s'ouvrait pour elle un nouvel âge d'or. 

Hélas, les feux de joie s'éteignent vite. À l'euphorie générale, le tragique bilan de la guerre et de l'Occupation risquait de faire succéder le plus amer découragement. C'est alors que la France en perdition lança ses premiers appels. Devant des auditoires attentifs, parlementaires et syndicalistes demandèrent aux ouvriers de la mine de faire face aux besoins immenses que le redressement du pays rendait impérieux. Des appels furent adressés aux quelques 320 000 mineurs répartis dans les 9 bassins houillers français dont la nationalisation devait assurer la concentration des efforts. On comptait d'abord sur le Nord et le Pas-de-Calais, qui représentent 60 % de la production nationale, et sur la Lorraine, capable d'atteindre 25%. 

Sur les vastes carreaux du Nord, au fond des puits qui percent la verte campagne lorraine, dans les bassins de Blanzy, de la Loire, d'Aquitaine, d'Auvergne, des Cévennes, de Provence, du Dauphiné, partout, ce SOS fut entendu. Faute du matériel nécessaire  pour doter les ouvriers d'un équipement mécanique suffisant, on fit flèche de tout bois  et on eut même recours à un matériel d'extraction usagé et désuet. On revit même, tirant son chapelet de wagonnets le long des galeries sombres, le bon vieux cheval de mine, dont la race était en voie de disparition. Malgré leur insuffisance, ces moyens, mis au service d'un personnel courageux et tenace, réussirent à imprimer à l'industrie la poussée initiale dont elle avait besoin pour redémarrer. Les cheminées crachèrent à nouveau leur panache de fumée, la vie reprit dans les usines. La machine se remit à tourner. Ce sera l'orgueil et l'honneur des mineurs de France d'avoir donné le 1er coup de pic de la reconstruction. Mais il n'importait pas seulement de se remettre au travail, il fallait réaliser de toute urgence les réparations nécessaires pour accroître la production charbonnière. Avec un merveilleux esprit d'équipe, ingénieurs et ouvriers unirent leurs efforts  pour relever les ruines laissées par l'ennemi qui s'était livré, partout et surtout en Lorraine, au pillage et à la destruction. Les houillères remirent en état leurs installations du jour et en construisirent de nouvelles. Des dispositions furent prises ensuite pour augmenter le volume d'extraction. On s'attaqua notamment au fonçage de nouveaux puits, travail particulièrement important et délicat car certains puits atteignent jusqu'à 1 000 m de profondeur. 

On a cherché, par ailleurs, à améliorer le rendement du personnel en organisant l'apprentissage et la formation professionnelle accélérée. En dehors de l'enseignement théorique, des cours pratiques ont lieu. D'abord au jour, dans des installations établies à l'image de la mine, ensuite au fond, dans des chantiers-écoles où les jeunes apprentis apprennent les spécialités du métier de mineur. Des cours spéciaux ont aussi été prévus pour les adultes qui doivent s'adapter  aux nouvelles méthodes de travail. Quelles sont ces nouvelles méthodes ? Quel est le vrai visage de la mine moderne ? Quelle existence  mène le mineur d'aujourd'hui ? C'est ce que nous allons apprendre au cours d'une visite détaillée. Dans la terre, le charbon forme d'immenses couches de plusieurs centaines d'hectares, d'épaisseur relativement faible, séparées par des terrains rocheux. Pour extraire le charbon, on creuse deux puits qui traversent verticalement le gisement. Les deux puits partent à des niveaux différents des galeries horizontales, sorte  de tunnels creusés dans les terrains rocheux. Un ventilateur, placé au sommet de l'un des puits, aspire, à travers toute l'exploitation, l'air pénétrant par l'autre puits, de façon à entraîner les gaz nocifs. A travers les galeries, circulent les trains de berlines transportant le charbon aux ascenseurs. Au point où ces galeries coupent les couches de charbon, on creuse d'autres galeries, moins importantes, appelées voies. Le problème consiste à enlever la masse de charbon comprise entre la voie supérieure et la voie inférieure. 

Comme le montre ce schéma, le chantier, appelé taille, progresse dans la couche au fur et à mesure que le charbon est enlevé, ou, comme on dit, abattu. L'évacuation se fait  par la voie inférieure, dans le sens indiqué par la flèche. Pour savoir comment  se pratique l'abattage, nous allons suivre une équipe jusqu'à son chantier. La silhouette du mineur, le décor de la mine, se sont transformés. Le vieux pic  a presque entièrement disparu, remplacé par le marteau-pneumatique qui permet, avec un effort moindre, un rendement infiniment supérieur. Bientôt, le marteau-piqueur lui-même, apparaîtra comme un outil démodé qui devra céder la place à un matériel plus moderne et plus puissant. Cette machine est une haveuse électrique. Un schéma nous en fera comprendre le fonctionnement. Ce n'est pas autre chose qu'une scie circulaire hérissée de dents de requin, qui s'enfonce à la base du front de taille et, se déplaçant sur toute la longueur du chantier, pratique dans le mur de charbon une profonde saignée. Un seul ouvrier commande  et dirige la machine qui est un véritable fil à couper le charbon. Lorsque la haveuse aura rempli sa fonction, il ne restera plus qu'à abattre le charbon à l'explosif. L'opération d'abattage une fois achevée, il faut procéder à l'enlèvement du charbon. Cette gigantesque pince de homard saisit et attire les blocs de charbon  grâce à des mouvements circulaires, et peut happer jusqu'à 3 tonnes de houille/minute. Un personnel restreint veille à la bonne marche de l'engin. Le charbon est déversé par la chargeuse sur des tapis roulants, appelés convoyeurs à bande, qui le véhiculent à toute allure de la taille où il vient d'être abattu jusqu''au point de chargement. Au point de chargement, un mouvement de saccades précipite le combustible dans un wagonnet appelé berline dont la capacité peut atteindre 3 000 l. Les berlines se déplacent automatiquement dès que le plein est fait. Des trains sont ainsi formés, attelés à un loco-tracteur diesel ou électrique qui les entraînera à travers voies et galeries. Leur voyage dans le sens horizontal se termine à la gare centrale du pont située à la base même du puits. Toujours animée d'un mouvement automatique, chaque berline prend place dans une des cages du gigantesque ascenseur, qui l'amènera à la surface. Voici l'arrivée au jour. Chaque berline est déchargée par un mouvement de basculage, provoqué par un immense tonneau. Une fois libérées de leur contenu, les berlines passent à travers un système d'aiguillage dont nous suivons quelques phases. Ici, tout est automatique. Un seul spécialiste suffit à diriger toute la manœuvre. Les berlines sont ainsi acheminées vers les cages et redescendent au fond où le cycle recommence. L'électrification du fond et la mécanisation de l'abattage révolutionnent le vieux métier de mineur. Les spécialités s'y sont multipliées et dans bien des cas, le mineur qui était jadis un simple  manœuvre, est devenu un technicien. 

Le visage de ces hommes n'évoque plus le combat misérable qui était le lot des mineurs d'autrefois. Ce n'est plus l'antique lampe qu'ils déposent à la lampisterie, mais une moderne lampe électrique, la lampe chapeau, comme ils l'appellent. Avant d'aller faire peau neuve  aux douches, le mineur s'est débarrassé  de ses vêtements de travail et les a hissés au plafond, cadenassés. Système ingénieux et pratique qui permet d'éviter les échanges, volontaires ou non. On a longtemps considéré  la vie du mineur comme une existence austère et privée de joie. Ce fut vrai dans le passé,  mais de grands efforts ont été faits pour la rendre plus souriante, pour lui donner un cadre décent, mais aussi agréable. Le mineur a le droit de goûter la douce quiétude du foyer. Et, comme Candide, il peut cultiver son jardin. Dans les principaux bassins houillers, on construit de nouvelles cités. Non point de ces cités ouvrières d'aspect morne et rébarbatif, mais de grands villages harmonieux et riants où le travailleur puisse trouver la détente et le repos. Pour l'ensemble du pays, le plan a prévu 45 000 constructions neuves. Nous en arrivons à la question du ravitaillement. La dépense physique du travailleur du sous-sol ne saurait s'accommoder d'un estomac vide. La visite de la coopérative centrale, gérée par des délégués du personnel, ne laisse pas que d'être rassurante. Elle possède, outre sa beurrerie, une liquoristerie... et une salle de torréfaction. De nombreux magasins et entrepôts sont réservés à l'habillement. La coopérative des mineurs s'emploie chaque jour davantage à améliorer les conditions de vie de chacun car la ration supplémentaire du mineur sert à nourrir parfois une nombreuse famille. Dispensaires, hôpitaux, maternités, le monde de la mine, où règnent une cohésion et un esprit de corps admirables, ne pouvait qu'être à la pointe  du mouvement social. On ne compte plus le nombre de colonies de vacances ouvertes aux enfants des pays miniers. Mais le privilège de l'air pur se devait d'être étendu au mineur lui-même. Non seulement des loisirs sont organisés à son intention, mais il peut aussi passer son congé  annuel à peu de frais, dans un centre de vacances. Chaque année, le château de La Napoule,  sur la Côte d'Azur, dont le donjon de granit domine la Méditerranée, voit affluer une foule de mineurs  du Nord qui viennent en famille savourer la splendeur lumineuse de la Riviera. Joie des vacances, joie du sport. Le mineur est sportif. N'en voulons pour preuve que le nombre imposant d'équipes de football voyant le jour dans les centres miniers. Certaines, comme le RC de Lens, l'Olympique d'Alès, celles de Valencienne, de Douai, etc. ont acquis la classe nationale. L'activité industrielle n'a-t-elle pas le caractère d'une compétition sportive ? Dans la lutte quotidienne pour le redressement de la France, il ne retrouvera son bien-être qu'en recouvrant sa santé et sa musculature d'antan. L'équipe de la mine a marqué le plus de points. Comment pourrait-il en être autrement ? Le charbon est le nerf de l'économie française. La production charbonnière conditionne le rythme de l'industrie. La production d'énergie électrique, les transports sont tributaires du charbon et en période normale représentent les 3/4 de l'énergie totale consommée en France. Comment le mineur ne se sentirait-il pas fier de ce qu'il représente ? Conscient de sa responsabilité, qu'il soit ingénieur ou jeune apprenti, il sait qu'il collabore à une grande tâche nationale. Il a le droit de sourire  et de regarder l'avenir avec confiance car la ténacité de son effort et l'importance de sa mission en ont fait  le premier ouvrier de France. 

Les hommes de la nuit

En 60 ans d'extraction minière, le charbon et les mineurs ont souvent été des vedettes de l'écran. 

Film extrait de la cinémathèque de Charbonnages de France et édité en 2005 dans le cadre du DVD "La mine et les mineurs au cinéma" (2005). 

© BRGM - Charbonnages de France 

-Il est 5 heures, et tout dort. Les frontons de la mine ne portent pas de cadran solaire. Et les mineurs lorrains que voici n'attendent rien du jour. Ce boiteux non plus n'en attend rien. Son histoire est bien simple. 26 ans de métier sous la terre. Une jambe en moins. La voie de garage. Il est moniteur et ne peut plus descendre. Et toi, tu le regardes, et tu sais que cela s'appelle le mal du fond. Et puis du genre dévoué, le copain, quoi. Mais ces choses-là ne sont pas si commodes. La pitié, chez nous, on n'aime pas trop. Alors, tu réfléchis. Des gosses, futurs mineurs, doivent descendre pour la 1re fois de leur vie. Et le sort te désigne pour cet apprentissage. Une descente de plus ou de moins, pour toi, ce n'est rien. Mais pour lui, qui doit désormais se contenter d'une maquette... Une histoire d'homme part souvent d'un scénario bien mince. Peu de phrases. Un mot à qui de droit, et voilà, c'est lui qui descendra. Baptême du fond. Baptême du fond. Mais où sont-ils, qui sont-ils, ces sacrés gosses ? On frappe les 3 coups, et le rideau se lève sur 5 petits visages. Un, deux, trois, quatre, cinq. Ils attendaient ce jour comme toi. C'est l'équipe, mon gars. C'est l'équipe. Les 6 de l'aventure. 6 compagnons s'en vont. S'en vont aux vestiaires, d'abord. Il faut revêtir le costume de ce sport-là. Les habits de la nuit. Pantalon de toutes pièces, de toutes couleurs. Pantalon qui paraît sale quand il est propre. Fréquentable quand il est noir. Et le casque de cuir. La barrette, comme on dit. Voilà qui coiffe un homme. 1,50 m. 14 ans. Ou le prestige de l'uniforme. De vrais gosses ou de vrais hommes ? Un vrai chahut, en tout cas. Une drôle d'aventure qui se prépare. Par mesure de sécurité... Défense de fumer, mon gars. Défense de fumer. Pourtant, un dernier accessoire. La lampe. Le seul feu qui te soit permis. Fanal réglementaire et compagnon de lumière des hommes de la nuit. Pour le chef, une lampe supplémentaire. Le panache du maître. Une lampe à flamme. Car là où la flamme vit, l'homme vit. Un ami sur le quai vous souhaite bon voyage. Souviens-toi, bonhomme, de ta 1re descente. Comme ils s'en souviendront. 100 m. 200 m. 300 m. 400 m. 500 m. 600 m. 700 m. Étage 700. Le fond. La nuit. 

-Oh ! 

-Mais tout, ici, n'est pas horizontal. Et la verticale, messieurs, la vraie, c'est quelque chose. 90 m d'un tuyau à 90 degrés avec le sol. Ça grimpe. Ça grimpe sec ! Et nous, les gosses, on trouve ça plutôt marrant. Au bout de ce tuyau, au bout de cette nuit-là, la verticale aboutit au charbon. C'est lui, là, tout au fond. Ici, le charbon dort debout. La verticale, c'est fait pour ça, tout à l'heure. Tu comprends ? Tu fais ton trou dans le plafond, et tu te débrouilles pour grimper en fabriquant sous tes pieds un nouveau sol. Ton sol, c'est du sable qu'on va chercher dehors. Du sable avec de l'eau, pour faire descendre. Et, 700 m plus bas, le bouillon gicle. Étrange lagune. Alluvions grasses, inquiétantes. La houille, dérangée, s'enfuit. L'eau ruisselle, à la recherche d'océans ignorés. Et l'homme, tout au long de cette hydrographie, marche. Marche sans trêve. Au bout de ce sentier, c'est la 1re à droite. Le paysage a changé, mais l'horizontal est encore une illusion. Du moins ce fanal un peu ivre. Car tel un navire qui donnerait de la bande, la veine prend des airs penchés. Regarde. Pétrifiée dans la dernière secousse du chaos dans un sommeil de 20 millions d'années, la houille sursaute. Je t'ai trouvée. Tu m'appartiens. Langage d'hommes. Regarde. Écoute ce monstre qui mord inexorablement. Le cloporte d'acier que voici sape d'abord à sa base la paroi, que l'explosif achèvera de disloquer. Puis, inlassable, en retournant ses griffes, ramasse les morceaux. Et devant le mineur mécanicien d'aujourd'hui, tu penses à cet artisan que tu fus si longtemps. Hier, ce rocher noir, tu l'arrachais de tes mains. Ou presque. Et puis tu le roulais devant toi. Ou presque. S'il avait encore fallu, tu l'aurais porté au jour sur tes épaules. Mais la nature a horreur du vide. Mais comme elle est la plus forte, il est prudent de s'incliner. Ceci s'appelle foudroyer. La technique n'a pas peur de nous. On collectionne ici de drôles de souvenirs. Cascades, tourbillons, vagues, confluents. Roule, roule, ton flot indolent, rivière noire. Tes eaux... Tes eaux pesantes jettent ici leurs derniers éclats, avant d'aller se ternir dans l'insolence du jour. Voici les donjons de ces extraordinaires domaines. Château de Lorraine. Faulquemont. Merlebach. Wendel. Sainte-Fontaine. Simon. Gargan. La Houve. 40 tours, 40 métronomes en perpétuel mouvement, battent l'infernale mesure, rythment la voltige du caillou noir. Autour de quoi un pays gravite. Les maisons, les machines, les gens. Et la fumée. Ce colosse aérien, c'est la respiration, le poumon de la mine. L'énorme cœur qui bat sous terre prend là son oxygène, déverse là son sang. Les conceptions de l'homme provoquent l'effondrement de toute échelle humaine. 9 t/min. 12 000 t/jour. Orgueil du chiffre. La machine s'en fout du gigantesque ! Elle n'est sensible qu'au petit. 2 doigts suffisent. 2 doigts d'une main. 2 doigts d'une main, pour qu'au bout de ce câble, 9 000 kg de houille s'en viennent rouler dans l'aventure du monde. Et c'est un drôle de 1er bal. Tambour battant. Ici, le lavabo. Se débarrasser d'abord des poussières de la route. On n'entre pas sale dans la danse. Les petits par ici. Les moyens par là. Les gros tout droit. La musique continue. Une éternité de calme et de silence. Et puis, sur un coup de cymbales, le caillou noir est venu. Sa naissance et sa vie ne seront qu'une flambée. Pierre d'électricité, de chaleur, de coke ou de gaz. Incendie calculé, contrôlé. Brasiers habituels. 

-Si tu veux faire ton bonheur Prends les choses comme elles vont Sous la terre Pas de manière Sans musique, y a pas de chanson Et sans mineur, y a pas de charbon 

-Comme il faudra bien qu'entre l'homme et l'inconnu, tout obstacle se brise, la mine continue. Ici, c'est du sable. Encore. Mais où l'histoire s'écrit avec de fameuses plumes. 

-Si tu veux faire ton bonheur Prends les choses comme elles vont Sur la terre Rien à faire Sans musique, y a pas de chanson Et sans mineur, y a pas de charbon 

-Un ami sur le quai attendait son retour. Ils se dirent quelques mots, comme ça. Tout simplement. Aimez-vous les confidences ? Eux pas. C'est tout.