Sommaire
    Nicolas Charles, géologue au BRGM et auteur de plusieurs guides géologiques publiés par BRGM Éditions, vous emmène à la découverte des terroirs viticoles et de leurs particularités géologiques.
    26 août 2022

    La géologie a une influence sur les caractéristiques qui définissent un terroir. La topographie, autrement dit le relief et sa morphologie, est liée à la nature des roches composant le sous-sol et à sa structure. C’est aussi le relief qui agit en partie sur la qualité et la diversité des vins, selon l’exposition des versants.

    Nous vous proposons un tour de France avec cinq étapes décrivant la géologie des grands terroirs viticoles pour illustrer l'influence de la géologie sur la qualité et les propriétés des vins.

    À propos de l'auteur

    Docteur en géologie, Nicolas Charles est géologue au BRGM, le Service géologique national. Il participe à de nombreux projets à l'international et en France sur la cartographie géologique et les ressources minérales. Depuis 2016, il coordonne un projet européen de formation en géosciences en Afrique (PanAfGeo) visant à renforcer les partenariats entre services géologiques européens et africains. Auteur de nombreux ouvrages de médiation scientifique sur le patrimoine géologique français, il anime aussi des conférences sur la géologie et les ressources minérales.

    Les côteaux du vignoble sancerrois (Sancerre,Cher, France, 2003).

    Sancerre, symbiose de la géologie et du terroir

    L'influence de la géologie sur la qualité et la diversité des vins.

    « Terroir ». Voici un mot français devenu universel car utilisé tel quel dans la plupart des langues. Au départ désignant le territoire d’une communauté d’un village, ce mot d’au moins 6 siècles bénéficie aujourd’hui d’une définition établie par l’Organisation internationale de la vigne et du vin : « c’est un concept qui se réfère à un espace sur lequel se développe un savoir collectif, des interactions entre un milieu physique et biologique identifiable et les pratiques vitivinicoles appliquées, qui confèrent des caractéristiques distinctives aux produits originaires de cet espace. Le « terroir » inclut des caractéristiques spécifiques du sol, de la topographie, du climat, du paysage et de la biodiversité ».

    Autrement dit, un terroir induit une forte identité de territoire et s’apparente à un véritable écosystème. C’est l’ensemble des caractéristiques du milieu naturel et du savoir-faire des vignerons qui concourt à la typicité d’un vin, et dans le même temps, révèlera la typicité de son terroir.

    Entre Val de Loire et Bourgogne, les vignobles de Sancerre et Pouilly-sur-Loire illustrent cette notion de terroir. La question récurrente du rôle de la géologie sur la typicité d’un vin et donc d’un terroir se pose ici aussi. Les avis ont souvent été partagés.

    Mais la géologie a bel et bien une influence sur les caractéristiques qui définissent un terroir. La topographie, autrement dit le relief et sa morphologie, est liée à la nature des roches composant le sous-sol et à sa structure. C’est aussi le relief qui agit en partie sur la qualité et la diversité des vins, selon l’exposition des versants.

    Sancerre, un terroir mondialement réputé fruit d’une longue histoire géologique.

    Sancerre, un terroir mondialement réputé fruit d’une longue histoire géologique.

    © BRGM - Nicolas Charles

    Des millions d’années d’histoire

    Le paysage de Sancerre est caractéristique avec sa butte portant le village. La colline a survécu à l’érosion pendant plusieurs milliers de siècles grâce à sa solide coiffe faite de conglomérats à silex. Ces roches siliceuses se sont pourtant déposées il y a environ 40 millions d’années dans des vallons ! Les géologues parlent d’inversion de relief, les terrains alentour (marnes et calcaires), plus tendres, ont été érodés alors que les roches à silex, plus dures, ont protégé les terrains des buttes sancerroise et andelainoise.

    Une grande diversité de vins

    Les caillottes sur les sols durs, et les griottes sur les sols plus tendres, sont très pierreux et se réchauffent plus rapidement amenant à une maturation plus précoce avec des acidités et une teneur en sucre plus faibles que les terres blanches. Le Sauvignon y fournit des vins élégants, légers, fruités et parfumés aux arômes variétaux plus marqués (buis, feuille de cassis).

    Enfin, les chailloux, sols très siliceux de couleur ocre car formés alors sous un climat chaud et humide par l’altération des roches du Crétacé, sont présents sur les pentes de la butte de Sancerre et de Saint-Andelain. Ils produisent des vins aux styles variés, selon la proportion d’argile dans le sol : épicés au bouquet caractéristique de pierre à fusil.

    Vue panoramique du vignoble d'Alsace, Vosges

    L’Alsace, un vignoble au bord du rift

    Un vignoble particulier situé aux confins des frontières géographiques et géologiques.

    À flanc de collines, protégé par les Vosges des précipitations et des vents frais par effet de foehn (vent chaud et sec du côté aval d’un relief bloquant une masse d’air humide à l’amont), c’est un mince ruban vert de quelques kilomètres de large sur plus de 100 kilomètres de long qui s’étend entre Mulhouse et Strasbourg. Mais quel ruban… C’est un vignoble situé aux confins des frontières géographique et géologique de la France, bienvenue en Alsace !

    Le vignoble alsacien occupe une place singulière au bord d’une structure tectonique majeure, le rift ouest-européen, qui s’étend de la mer du Nord à la Méditerranée. Le fossé rhénan qui porte le vignoble alsacien sur sa bordure occidentale, s’est principalement formé à l’instar de ces « cousins » les fossés de la Bresse, de la Loire ou de la Limagne, au cours de l’Oligocène, il y a environ 30 millions d’années.

    Vignoble de Turkheim entre plaine d'Alsace et reliefs vosgiens.

    Vignoble de Turkheim entre plaine d'Alsace et reliefs vosgiens.

    © BRGM - Nicolas Charles

    Un vignoble hérité de l’antiquité

    En bordure des Vosges, c’est le granite, le gneiss, ou encore le schiste qui servent d’assises aux ceps. Une longue histoire géologique est donc à l’origine de la géodiversité alsacienne depuis la chaîne Varisque il y a près de 350 millions d’années aux alluvions qui se déposent dans les rivières encore aujourd’hui. Montagnes, mers, lagunes, lacs, volcans, glaciers ou encore fleuves se sont succédé dans les méandres du temps long contribuant à l’identité de ce sous-sol alsacien qui porte aujourd’hui un vignoble singulier hérité de l’antiquité.

    Plutôt Sylvaner ou Gewurztraminer

    En Alsace, l’équilibre doit être trouvé entre considérations ampélographiques et géologiques. Au sein des nombreux types de roches, les principaux constituants minéraux sont le quartz (sable siliceux), l’argile et le calcaire. Claude Sittler, géologue à l’Université de Strasbourg, a ainsi proposé une correspondance entre sensations gustatives des vins alsaciens et les éléments minéraux issus de la géodiversité du vignoble. Puissance et astringence pour l’argile, vivacité et acidité pour le quartz, opulence et moelleux pour le calcaire. Tout est une question d’équilibre entre le sable siliceux qui apporte de la porosité aux sols, l’argile qui capte l’eau et la restitue à la vigne mais pas trop, et le calcaire qui délivre des éléments minéraux à la vigne avec modération pour éviter la chlorose.

    Vue des rangées de pieds de vigne, Aquitaine

    Bordelais, une diversité géologique récente entre terre et mer

    Un vignoble bercé par le climat océanique, l'hygrométrie et la géologie.

    Saint-Émilion, Pomerol, Saint-Estèphe, Margaux, Pauillac ou encore Sauternes. Des noms prestigieux synonymes d’appellations de grands vins parmi les plus célèbres au monde. Si le climat océanique, tant favorable à la vigne par sa douceur et son hygrométrie, apporte une certaine unité aux vins de Bordeaux, la géologie s’avère quant à elle beaucoup plus variée expliquant en partie la multitude d’appellations.

    Le Bordelais, situé dans le Bassin aquitain, possède un sous-sol relativement récent, avec des roches principalement calcaires et plus ou moins argileuses âgées d’environ 50 millions d’années pour les plus anciennes, et des terrasses fluviatiles riches en graviers, galets et sables pour les plus récentes. Lors des dernières dizaines de millions d’années, l’océan et les fleuves ont fait preuve d’alternance, entre multiples incursions marines et dépôts de sédiments arrachés au Massif central et aux Pyrénées par la Garonne, la Dordogne et leurs affluents. Ce chassé-croisé s’est doucement accompagné des soubresauts de la formation des Pyrénées et des Alpes, ainsi que de changements climatiques faisant osciller le niveau de la mer. Deux grands terroirs se distinguent : les terrains rocheux calcaires et plus ou moins argileux du Cénozoïque (-66 à -2,6 millions d’années), armant les plateaux bordelais ; les terrains graveleux et sableux des terrasses fluviatiles (sédiments déposés par les cours d’eau) du Quaternaire, les célèbres « graves ».

    Bordeaux vineyards, Château de Barbe - Côtes de Bourg, Villeneuve.

    Bordeaux vineyards, Château de Barbe - Côtes de Bourg, Villeneuve.

    © BRGM - Nicolas Charles

    Des calcaires typiques

    C’est de l’Éocène au Miocène (-56 à -5,3 millions d’années) que se forment les assises rocheuses du vignoble et des paysages bordelais. Il s’agit de roches d’origine marine, lacustre ou fluviatile. Les plus connues sont le calcaire de Blaye, le calcaire de Saint-Estèphe et bien entendu le calcaire à astéries, utilisé pour la construction du village de Saint-Émilion et armant les plateaux du paysage girondin. La géodiversité du Bordelais est donc riche et les combinaisons avec les caractéristiques d’un terroir (sol, eau, topographie, climat, cépage et porte-greffe, savoir-faire du vigneron) sont nombreuses.

    À la découverte de la colline de Saint-Émilion

    La colline de Saint-Émilion, haut lieu du patrimoine viticole français, domine la vallée de la Dordogne, où sont produits des vins rouges remarquables, puissants, charpentés, tanniques et de très bonne garde. Le plateau, à 90 m d’altitude, est armé par le calcaire à astéries, pierre extraite sur place et mise en œuvre dans le village. En descendant, le coteau se compose ensuite d’une couche argileuse à fossiles d’huîtres puis d’une argile carbonatée d’origine lacustre nommée Formation de Castillon qui repose enfin sur des argiles sableuses, la molasse du Fronsadais.

    Vue panoramique du vignoble, Bourgogne

    Bourgogne, une marqueterie de terroirs aux climats réputés

    Les terroirs bourguignons résultent d’une histoire géologique de plus de 200 millions d’années.

    À l’est de la France, d’Auxerre à Mâcon en passant par Dijon et Beaune, c’est un vignoble exceptionnel et de renommée mondiale qui s’étire de façon discontinue sur près de 250 kilomètres. Le vignoble de Bourgogne produit entre autres des vins rouges et des vins blancs réputés les meilleurs et les plus chers du monde. Il se décline en six régions dont Chablis, Châtillonnais ou encore Grand Auxerrois.

    Mer tropicale, récifs coralliens, soubresauts et déformation du sous-sol avec la naissance des Alpes, altération, érosion et dépôts de sédiments, changements climatiques au Quaternaire sont autant d’épisodes de l’histoire de la Terre qui ont concouru à la géodiversité et à la forme des reliefs, ainsi qu’à la naissance des terroirs bourguignons.

    Roche de Solutré (493 m) composée de roches calcaires et marneuses âgées du Jurassique et dominant les vignes de l’appellation Pouilly-Fuissé. 

    Roche de Solutré (493 m) composée de roches calcaires et marneuses âgées du Jurassique et dominant les vignes de l’appellation Pouilly-Fuissé. 

    © BRGM - Nicolas Charles

    Une histoire de mer, montagnes et rivières

    Les terroirs, essentiellement argilo-calcaires, résultent du dépôt de sédiments marins principalement au Jurassique (-200 à -150 millions d’années) au fond d’une mer tropicale chaude et peu profonde. Il s’agit de calcaires renfermant des alternances marneuses (couches plus argileuses) dont certains sont exploités en carrières et donnent de belles pierres ornementales à l’instar du calcaire de Comblanchien. 

    L’histoire continue avec la naissance des Alpes qui vient chambouler l’architecture du sous-sol il y a environ 30 millions d’années. À cette époque nommée Oligocène, la croûte terrestre est soumise à un étirement à l’échelle de toute l’Europe de l’Ouest, qui donnera naissance à plusieurs fossés d’effondrement dont celui de la Bresse bordé par un réseau de failles méridiennes (orientées globalement nord-sud) délimitant les coteaux de la plaine de Saône (côtes de Beaune et de Nuits, Côte chalonnaise, Mâconnais, Beaujolais).

    Des climats bien particuliers

    Outre la géologie, le climat est un élément naturel essentiel au vignoble bourguignon. À dominante continentale, le climat bourguignon sait aussi être influencé par l’air marin venu de l’ouest ou encore la douceur méditerranéenne venue du sud, ce qui marque la qualité des millésimes.

    Le climat justement, un mot qui a également une tout autre définition en Bourgogne. Depuis le Moyen-âge, les vignerons ont progressivement et précisément délimité et nommé leurs parcelles de vignes, définissant ainsi des « climats ». Et rien à voir avec le ciel ! C’est une particularité bourguignonne classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2015. Selon la définition de l’Unesco, « chaque climat possède des caractéristiques géologiques, hydrométriques et d’exposition particulières. La production de chaque climat est vinifiée séparément, à partir d’un seul cépage, et le vin ainsi produit prend le nom du climat dont il est issu ».

    Vignes près de Ramatuelle dans le massif des Maures, terroir argilo-siliceux en Provence cristalline.

    Côtes de Provence, 50 nuances géologiques de rosé

    Un vignoble des contreforts alpins à la Méditerranée exhibant une géodiversité contrastée entre Provence calcaire et Provence cristalline.

    Il est une couleur de vin qui a gagné ces 30 dernières années en attractivité et en reconnaissance, au même titre que les vins rouges et blancs, il s’agit du vin rosé, souvent synonyme de fraîcheur venue à l’heure d’un repas estival ou non, en famille ou entre amis. Quel meilleur exemple que les vins rosés des Côtes de Provence. Il possède des terroirs extrêmement variés donnant naissance à des rosés secs et légers dont l’origine est issue d’une histoire géologique de plus de 500 millions d’années.

    Pêche, melon, mangue, pomelo, mandarine ou encore groseille. À l’instar de la palette des nuances du vin rosé provençal, la palette minérale de la géologie portant ce vignoble âgé de 2 600 ans et introduit par les Phéniciens et les Phocéens l’est tout autant. Calcaire, dolomie, sables, graviers et galets, grès, marnes, pélites, granite, rhyolite, schiste, micaschiste, migmatite, gneiss… Cette géodiversité résulte d’une histoire géologique longue et complexe difficile à résumer en quelques lignes.

    Sainte-Victoire, terroir argilo-calcaire en Provence calcaire. 

    Sainte-Victoire, terroir argilo-calcaire en Provence calcaire. 

    © BRGM - Nicolas Charles

    La géodiversité marque aujourd’hui les paysages provençaux

    • La Provence cristalline, domaine des roches magmatiques et métamorphiques, visibles dans les massifs des Maures-Tanneron (Saint-Tropez, Ramatuelle, Porquerolles). Ces roches se sont formées lors de l’orogenèse Varisque, la formation d’une chaîne de montagnes il y a près de 350 millions d’années.

    • La dépression permienne décrivant un croissant depuis Toulon à Fréjus en passant par Vidauban et Roquebrune-sur-Argens. Des terres rouges issues de roches gréso-argileuses, fruit de l’érosion de l’ancienne chaîne Varisque il y a environ 300 millions d’années. S’ajoutent les rhyolites de l’Esterel, des roches volcaniques rouges issues d’une importante éruption à la même époque.

    • La Provence calcaire, domaine des roches éponymes d’origine marine et formées du Trias au Crétacé (-250 à -65 millions d’années). Ces roches, plissées et faillées en est-ouest lors de la formation des Pyrénées il y a près de 40 millions d’années, constituent les principales montagnes de Provence comme la Sainte-Victoire ou la Sainte-Baume, mais aussi le bassin du Beausset, de Cassis à Bandol.

    90% de vins rosés produits dans la région

    Conséquence de l’étendue et de la diversité des terroirs, les vins des Côtes de Provence (AOC depuis 1977, sur près de 20 000 ha) ont chacun leur personnalité géologique et climatique. L’appellation est traditionnellement décomposée en huit bassins : la Bordure Maritime, Notre-Dame-des-Anges, le Haut Pays, le Bassin du Beausset, la montagne Sainte-Victoire, Fréjus, La Londe et Pierrefeu.

    Plus de 90% de vins rosés y sont produits et l’appellation met en scène différents cépages caractéristiques du sud comme la Syrah, le Grenache, le Mourvèdre, le Cinsaut et le cépage varois, le Tibouren. Carignan et Cabernet-Sauvignon complètent la palette de vins rosés et rouges. Il ne faut pas oublier les vins blancs, certes minoritaires mais qui savent tirer parti du Rolle, de l’Ugni blanc, du Sémillon ou encore de la Clairette.