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    Le BRGM propose une série estivale sur la sulfureuse et insoupçonnée liaison entre James Bond et la géologie.
    22 août 2023

    Soudain, un coup de feu suivi d’un voile rouge lance une nouvelle aventure du plus célèbre des agents secrets : Bond, James Bond. Intrigues, paysages spectaculaires, méchants et gadgets ont fait la recette de la plus ancienne franchise du cinéma. James Bond parcourt le monde au gré de ses missions au service de Sa Majesté et les réalisateurs ont compris dès 1962, l’intérêt du public pour les voyages de l’espion.

    James Bond est-il vraiment là où il prétend être ? Mais où va-t-il chercher tous ces gadgets ? Les géologues : fiables alliés ou affreux méchants ? Pour répondre à ces questions et plus encore, partons sur les traces de l’espion le plus célèbre du monde pour une série d'enquêtes géologiques. Les articles complets sont à découvrir sur le site The Conversation.

    À propos de l'auteur

    Docteur en géologie, Nicolas Charles est géologue au BRGM, le service géologique national. Il participe à de nombreux projets à l'international et en France sur la cartographie géologique et les ressources minérales. Depuis 2016, il coordonne un projet européen de formation en géosciences en Afrique (PanAfGeo) visant à renforcer les partenariats entre services géologiques européens et africains. Auteur de nombreux ouvrages de médiation scientifique sur le patrimoine géologique français, il anime aussi des conférences sur la géologie et les ressources minérales.

    Déformation le long du front sud-atlasique, Maroc

    James Bond est-il vraiment là où il prétend être ? Enquête géologique au service secret de Sa Majesté

    Les lieux de tournage, souvent sélectionnés sur des critères esthétiques, ne correspondent pas toujours aux lieux des scénarios. Partons sur les traces de l’espion le plus célèbre du monde pour pour ce premier épisode.

    L’homme au pistolet d’or est en Thaïlande, pas en Chine !

    Dans L’homme au pistolet d’or, sorti en 1974, le repaire du tueur à gages Francisco Scaramanga est une île somptueuse. Elle se situe soi-disant en mer de Chine du Sud. Or, l’île de Scaramanga est en fait… l’île Khao-Phing-Kan, située en Thaïlande, au nord de la baie de Phang Nga, à plus de 2 000 kilomètres au sud-ouest !

    Alors que la côte de Chine méridionale où est censée se dérouler l’histoire de L’homme au pistolet d’or est principalement composée de granites et de roches volcaniques datant du Jurassique au Crétacé, avec peu de roches sédimentaires, l’île de Scaramanga est iconique pour son piton calcaire - sédimentaire, donc - qui émerge de l’eau.

    L’île est un des nombreux pitons calcaires, érodés autour de leur base et recouverts de végétation, de la région : l’ensemble, absolument remarquable, évoque une forêt d’arbres de pierre flottant sur la mer.

    Moonraker, le Pain de Sucre de Rio

    Dans Moonraker (1979), James Bond affronte dans une scène mémorable Requin, l’homme de main aux dents d’acier de l’industriel mégalomane Hugo Drax. Le duel se déroule dans et sur le téléphérique du Pain de Sucre à Rio de Janeiro, au Brésil. Un paysage iconique dans l’une des plus belles baies du monde. Le Pain de Sucre est depuis 2022 classé par l’Union internationale des Sciences géologiques comme un site géologique mondial pour sa géodiversité remarquable, en plus d’être inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2012.

    La plus grande résistance à l’altération et à l’érosion de ce gneiss par rapport aux roches environnantes explique les pitons rocheux isolés émergeant dans la baie. Il s’agit d’« inselbergs », mot dérivé de l’allemand insel et berg signifiant « montagne-île », un relief isolé aux parois abruptes que l’on retrouve principalement dans les granites et les gneiss.

    Spectre est bien au Maroc, mais…

    Dans Spectre (2015), bien que l’action se déroule au Maroc tout comme les prises de vue réelles, l’interprétation géologique faite du repaire du cynique Ernst Stavro Blofeld, n°1 de l’organisation terroriste a de quoi heurter la sensibilité du géologue !

    En effet, la base secrète qui sera totalement détruite par 007 se veut être construite au sein d’un ancien cratère de météorite. Le lieu de tournage correspond au massif de Gara Medouar (ou Jebel Mudawwar), un relief isolé en fer à cheval au sud-ouest d’Erfoud dans l’Anti-Atlas oriental. Mais rien à voir avec un astroblème (témoin d’un ancien impact de météorite) ou même un cratère volcanique ! Il s’agit tout simplement d’une forme d’érosion au sein d’une pile d’anciens sédiments marins déformés par un pli, où les flancs s’inclinent de part et d’autre pour former une dépression concave (les géologues parlent de pli synclinal).

    Rien à voir avec un épisode cataclysmique donc, quoique… Lors du tournage de Spectre (2015), la scène de la destruction de la base secrète a nécessité près de 70 tonnes d’explosifs inscrivant un temps au Livre Guinness des records cette explosion comme la plus importante de l’histoire du septième art, record toujours détenu par la saga dans Mourir peut attendre (2021) avec… 136 tonnes d’explosifs !

    Pépite d'or et quartz, Finlande

    Mais où James Bond va-t-il chercher tous ces gadgets ?

    Entre voitures mythiques et lasers à gogo, les gadgets de 007 reflètent notre utilisation du monde minéral.

    Montre-laser, pistolet à empreintes digitales, explosifs et bien sûr voitures suréquipées… les gadgets sont un des symboles de James Bond. Leur inventeur génial s’appelle « Q ». Si certains de ces gadgets ont réellement existé (laser, reconnaissance d’empreintes digitales, réacteur dorsal), d’autres sont, comme on va le voir, plus fantaisistes.

    Mais tous reposent sur un socle commun, les matières premières nécessaires à leur fabrication, et en particulier les ressources minérales, que les géologues contribuent à trouver dans la croûte terrestre. De tout temps, les humains ont utilisé les ressources minérales pour créer et utiliser des technologies, du silex préhistorique au lithium des batteries actuelles. Le plus célèbre agent secret de Sa Majesté ne fait pas exception.

    Les voitures rapides et peu discrètes de l’agent secret le plus célèbre du monde

    En 1964 dans Goldfinger, James Bond doit abandonner sa Bentley pour une Aston Martin DB5 modifiée par l’ingénieux Q (l’inoubliable Desmond Llewelyn). C’est la première des huit apparitions du bolide désormais indissociable de 007.

    L’automobile est un bon exemple de la complexification des produits et de l’augmentation de la diversité des matières premières utilisées au cours du temps. La DB5 recèle ainsi divers métaux et minéraux à commencer par l’aluminium, un métal permettant de gagner en légèreté. Il est extrait de la bauxite, un minerai notamment exploité en Jamaïque aux environs d’Ocho Rios… qui a servi de décor pour l’île Crab Key, repaire du Dr. No, en 1962.

    L’industrie automobile a largement évolué depuis 1964 et les innovations se succèdent, augmentant la diversité des ressources minérales utilisées. Plusieurs dizaines sont nécessaires aujourd’hui pour un véhicule standard – et que dire des derniers bolides pilotés par 007 depuis les années 2000 comme la BMW Z3 ou l’Aston Martin Valhalla.

    Cela se poursuit avec les véhicules électriques qui voient intervenir lithium, cobalt, graphite, nickel et terres rares dans les batteries. D’ailleurs en 1971, dans Les diamants sont éternels, James Bond vole et conduit un module lunaire électrique ! Plus récemment dans Mourir peut attendre (2021), l’Aston Martin Valhalla est un bolide hybride rechargeable, mais James Bond n’est pas encore passé au tout électrique.

    James Bond et ses ennemis équipés de technologies de pointe

    La saga est aussi l’occasion de mettre en avant des technologies de pointe peu connues du grand public au moment de la sortie d’un film. Des technologies qui reposent sur des matières premières. Quel meilleur exemple que le laser (de l’anglais « light amplification by stimulated emission of radiation » et signifiant « amplification de lumière par émission stimulée de rayonnement »). Pistolet, montre, voiture, satellite… Dans un scénario, tout est « mieux » équipé d’un laser !

    Le faisceau lumineux de couleur rouge dans Goldfinger a été émis à partir d’un laser (probablement à rubis) dont la luminosité a été amplifiée par effets spéciaux. En revanche, le caractère destructeur du laser n’est que pure fiction. Lors du tournage, un opérateur a utilisé un chalumeau à acétylène sous la table prédécoupée alors même que Sean Connery y était allongé !

    Des armes en or… trop mou ?

    Autre objet culte, le Walther PPK, pistolet allemand qu’utilise 007 dans bon nombre d’opus de la saga. C’est une arme faite d’un alliage d’acier inoxydable. Bien que l’acier soit principalement constitué de fer, il contient aussi d’autres éléments en fonction de l’utilisation et des propriétés recherchées : chrome, molybdène, nickel, manganèse, carbone, silicium, cuivre, soufre, azote, phosphore, bore, titane, niobium, tungstène, vanadium, cérium.

    Beaucoup plus précieux, le pistolet de Francisco Scaramanga est en or massif et se présente sous la forme d’un assemblage d’objets du quotidien afin de ne pas être repéré lors des contrôles : briquet, boutons de manchette, stylo-plume et étui à cigares. Limité à un coup, ce pistolet tire des balles d’un calibre de 4,2 mm, pesant 30 g, et surtout en or 23 carats avec des traces de nickel. Voilà pour la fiction… Il est difficile en effet d’imaginer un pistolet entièrement constitué d’or, un métal très dense et surtout très mou, qui ne résisterait pas longtemps à la puissance répétée d’un coup de feu. En bijouterie, l’or, pour pouvoir être porté, est souvent d’ailleurs allié à l’argent, au cuivre ou au zinc.

    Activités volcaniques et thermales, Islande

    Diamants, eau, volcans : James Bond entre ressources et risques naturels

    On distingue le plausible du surréaliste, géologiquement parlant, dans les scénarios.

    Dès le premier opus (Dr. No, 1962), les aventures de 007 reposent sur une base scénaristique intégrant la science et la technologie alliées aux enjeux géopolitiques mondiaux au gré des différentes époques de la saga. Et bien souvent, les géosciences ne sont pas loin…

    Parmi les éléments scénaristiques, le cadre de l’action peut avoir un lien avec la géologie. Dans On ne vit que deux fois (1967), la base secrète de Spectre est localisée dans le cratère d’un volcan au Japon.

    Il s’agit dans la réalité du volcan Shinmoe, sur l’île de Kyūshū, âgé d’environ 18 600 ans et dont la dernière éruption date de 2018. Gaz toxiques, séismes et éboulements, chaleur intense et ennoiement du cratère avec la possible formation d’un lac aux eaux acides, tout ceci est peu compatible avec l’établissement d’une base secrète souterraine, même temporaire.

    Dans Meurs un autre jour (2002), le scénario axé géopolitique (réunification des deux Corée) repose sur l’usage d’une arme spatiale financée par les revenus de la vente de diamants de conflit par Gustav Graves. Officiellement, Graves possède une mine de diamants qui finance une action louable d’éradication de la famine dans le monde. Jusqu’ici, cela semble cohérent si ce n’est que la mine est localisée dans le film en… Islande ! Or, aucun gisement de diamants n’existe en Islande, tout simplement car le contexte géologique n’y est pas favorable.

    En effet, les diamants se forment à grande profondeur (manteau terrestre) et remontent dans la croûte terrestre par l’intermédiaire de violentes éruptions volcaniques. Les diamants se retrouvent piégés dans des roches nommées kimberlites qui sont exploitées aujourd’hui en Afrique du Sud, Australie, Canada, Russie ou encore au Botswana. Lorsque ces roches sont altérées et érodées, les diamants, très résistants, peuvent se retrouver piégés dans les sédiments des rivières.

    En Islande, les seuls « diamants » visibles sont les blocs de glace échoués, entre autres, sur la plage de Fjellsfjara, au débouché de la vallée glaciaire de Breiðamerkursandur !

    Solaire, pétrole : d’où vient l’énergie dans James Bond

    Un autre élément scénaristique récurrent est l’accès aux matières premières ou à l’énergie. L’Homme au pistolet d’or est sorti en 1974, soit juste après le choc pétrolier de 1973 et les difficultés d’indépendance énergétique européenne, sujet toujours d’actualité… Le scénario repose sur l’intrigue visant à retrouver une technologie nommée « agitateur Sol-X ». Elle permettrait de capter l’énergie solaire avec un rendement de 90% (quantité d’énergie lumineuse transformée en électricité), de quoi faire pâlir les actuels panneaux solaires dont les rendements sont plutôt de l’ordre de 10 à 25%.

    Toujours dans l’accès aux ressources, Le monde ne suffit pas (1999) nous plonge dans le milieu du pétrole. Elektra King, héritière d’une entreprise pétrolière, construit un pipeline pour concurrencer l’or noir venu de Russie et qui alimente l’Europe. Pour ce faire, le scénario s’oriente vers l’explosion d’un sous-marin nucléaire dans le détroit du Bosphore visant à générer une instabilité sur les approvisionnements pétroliers du Vieux Continent.

    Campagne de géologie de terrain, Malawi

    Fiables alliés ou affreux méchants ? Les géologues et James Bond

    Crise énergétique, accès aux ressources naturelles, course à l’innovation, spéculation et déstabilisation financière ou encore catastrophe naturelle rythment les scénarios bondiens.

    « C’était le violon d’Ingres de Strangways, la géologie ? » Une question que se pose James Bond dans Dr. No (1962) alors qu’il mène l’enquête en Jamaïque sur l’assassinat de son collègue, ledit Strangways. Tout porte à croire qu’un géologue est impliqué… Ça commence plutôt mal pour l’image de ce scientifique du sous-sol dans les aventures du plus célèbre agent secret de Sa Majesté !

    De fait, le professeur R.J. Dent, géologue et minéralogiste, est un sbire de Dr No qui a fait assassiner l’espion John Strangways. Celui-ci lui avait envoyé des roches prélevées sur l’île de Crab Key, le repaire de son patron. Le géologue Dent essaie alors de cacher à 007 l’origine des échantillons : « pauvre Strangways, c’était une de ses marottes, la géologie en amateur. Il m’a apporté des bouts de roches pour faire des analyses, convaincu que cela valait quelque chose. Ça ne valait rien, un minerai faible en sulfure de fer ». Bond insiste, déterminé à trouver où se cache son ennemi : « à Crab Key peut-être bien ? », et le géologue répond : « certainement pas, du point de vue géologique c’est impossible ».

    Ici, le géologue est présenté sous un angle négatif, usant de son expertise au service du méchant, et cachant la vérité à 007.

    Les géologues sont assez présents dans la saga James Bond. Ils ne jouent pas toujours un aussi mauvais rôle. Alors, qui sont ces experts du sous-sol qui gravitent autour de 007 ?

    Une géologue pour alliée

    Dans Dangereusement vôtre (1985), c’est un personnage du géologue bien plus positif qui est mis en avant. Il s’agit de Stacey Sutton, qui, ayant hérité de l’entreprise pétrolière familiale, a suivi des études de géologie, avant d’être employée à la Direction des hydrocarbures et des mines de l’État de Californie.

    Stacey Sutton apporte à James Bond une expertise géologique sur la compréhension du système de failles de San Andreas et de Hayward : elle lui explique quelles seraient les conséquences d’un séisme majeur dans la zone. En effet, Maximilian Zorin entend détruire la Silicon Valley en déclenchant un « séisme induit », par l’explosion d’une bombe et l’injection d’eau de mer le long des couloirs de faille : c’est l’opération « Le Filon » – un nom lui-même clin d’œil à la géologie.

    Hydrogéologue : le scientifique des eaux souterraines

    Autre opus bondien où le personnage du géologue est évoqué, c’est Quantum of Solace (2008), où la course-poursuite de l’introduction traverse les carrières du célèbre marbre de Carrare, en Italie.

    Dans ce film, James Bond passe même pour géologue sans le savoir durant quelques minutes en Haïti : alors qu’il monte dans la voiture de l’espionne bolivienne Camille Montes Rivero, elle le confond avec le géologue duquel elle devait récupérer des informations secrètes… un géologue que le méchant Dominic Greene a fait tuer (bien que, avoue-t-il, « ça tombe mal, c’était un de mes meilleurs géologues »), et a remplacé par un faux géologue, un tueur engagé par le méchant pour éliminer l’espionne. Le nom de ce faux géologue aurait peut-être dû mettre la puce à l’oreille de nos héros : s’appeler Edmund Slate, alors que « slate » signifie « ardoise » en anglais, semble un hasard trop bien ficelé.

    Dans Quantum of Solace, Dominic Greene acquiert d’immenses étendues de terre en Bolivie, qui, selon les recherches de Camille Montes Rivero, « ne recèlent aucune richesse, mais les géologues avaient des preuves contraires ». En fait, il s’agit d’une richesse du sous-sol autre que le pétrole ou les métaux : de l’eau souterraine. Dans la réalité, le lieu de tournage pour illustrer le désert bolivien est celui d’Atacama, au Chili, près d’Antofagasta.

    Dans le cinéma, le rôle du géologue est souvent positif, il apporte son expertise et concourt alors à améliorer une situation donnée ou à en comprendre les enjeux (par exemple le risque volcanique dans Le Pic de Dante de Roger Donaldson, 1997). Le géologue peut aussi utiliser son savoir à des fins moins positives, souvent comme assistant corrompu du méchant principal, comme on l’a vu ici.

    Ce constat sur le personnage du scientifique n’est pas propre au géologue, d’autres disciplines scientifiques sont représentées au sein des 27 films où apparaît l’agent secret britannique : physicienne nucléaire (Christmas Jones dans Le Monde ne suffit pas), biologiste marin (Dexter Smythe dans Octopussy), généticien (Dr Alvarez dans Meurs un autre jour), informaticien (Boris Grishenko dans Goldeneye), mathématicien (Le Chiffre dans Casino Royale), chimiste (Lyutsifer Safin dans Mourir peut attendre), pour ne citer qu’eux !