Dans le cadre de notre politique pour une égalité réelle entre les femmes et les hommes au travail, nous invitions 7 femmes géoscientifiques à venir témoigner lors de l’événement Femmes et géosciences du 14 octobre 2019 au BRGM. Qu’elles soient dans le privé ou dans le public, découvrez leur parcours !
29 octobre 2020

Discours d'ouverture de Michèle Rousseau

Michèle Rousseau, présidente-directrice générale du BRGM, ouvrait le 14 octobre 2019 l’évènement exceptionnel « Femmes et géosciences ».

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Donc, je suis présidente directrice générale du BRGM et, effectivement, je crois, la 1re femme à cette fonction au BRGM. Alors, les proportions de femmes et d'hommes au BRGM en 2018, vous voyez que, pour l'effectif total, 45 % de femmes. Donc, je pense que c'est bien. Quand on arrive aux ingénieurs et aux cadres : 32 %. Donc, là, on a, finalement, l'illustration du fait que les femmes hésitent parfois dans leurs études à se tourner vers des carrières d'ingénieurs ou de chercheurs dans des domaines techniques. À titre personnel, dans ma propre école, donc, l'École des Mines de Paris, donc une formation d'ingénieur, et non pas de chercheur, c'était masculin à 97 %, hein, quand j'ai fait mes études, donc, vous voyez, c'est un sujet de l'enseignement supérieur en général. Donc, vous voyez, après, pour les cheffes de projet et managers, on reste dans ces 30 %. Et, ensuite, ça descend, il y a un palier, hein, quand on arrive à des niveaux d'encadrement supérieur, que ce soit de thèses ou de personnel. Alors, c'est ici examiné de façon un peu plus précise. Donc vous voyez quand même que les cadres, les cadres géoscientifiques : 32 % de femmes en ingénieurs et cadres. On a, donc, ces 10 % de moins par rapport à la population générale. Et, quand on va regarder les moins, en cheffes de projet, en experts, managers, on a 29 % de femmes. Alors, c'est très léger, l'écart, hein, entre 29 % et 31, 32 %, mais on voit que ça commence à s'effriter un tout petit peu. C'est quand même un signal, on va dire : "C'est un simple signal." Quand on regarde, ensuite, les proportions pour les cheffes de projet de taille importante ou pour les HDR, on voit le pourcentage de femmes baisser. Alors, j'ai quand même demandé qu'on ajoute, parce qu'on voit, le pourcentage est à 25 %, mais, quand même, vous voyez qu'entre 2017 et 2018, le nombre de femmes qui ont dirigé des projets scientifiques de grande taille est passé de 34 à 41. Donc, en nombre, c'est bien. En pourcentage, ça baisse. Probablement, il n'y a pas un vivier suffisant, hein, et, ça, c'est la faiblesse, finalement des femmes tout simplement chercheurs qu'on va retrouver là. Et, ensuite, au niveau du CODIR, vous voyez qu'il y a eu une chute en 2018 et 2019. Nous sommes sur des petits nombres. C'est le départ de Nathalie Dörfliger, qui a quitté le CODIR à sa demande. Et c'est vrai que je ne suis pas arrivée à recruter une femme pour la remplacer au poste de directeur opérationnel. Et, quand je regarde ce que j'ai tenté de faire pour les directeurs adjoints qui sont de direction, j'ai fait des propositions à des femmes et ces femmes ont refusé. Alors, ici, vous voyez les courbes d'évolution. Donc 40 %, c'est le pourcentage qu'on avait pour les ingénieurs et cadres au BRGM. 40 % de femmes. Vous voyez que, quand on arrive au niveau 2, les femmes sont bien positionnées, ça monte depuis 2007. Et c'est un hommage, je crois, aux diplômes qui sont quand même en général supérieur du côté des femmes. En revanche, pour des postes d'encadrement, on a cet écart, hein, qu'on retrouve, qui est toujours d'environ une quinzaine de pourcent. Alors, l'index d'égalité femmes-hommes, 93 sur 100 au BRGM, c'est un score très, très élevé, c'est un index qui est officiel, ça n'a pas été créé pour le BRGM. Vous voyez les 5 critères : l'égalité de rémunération, le BRGM a un écart d'1, 4 % entre les hommes et les femmes en faveur des hommes. C'est quand même pas énorme, mais on peut discuter parce que c'est, évidemment, pour un certain type de postes. Les taux d'augmentation : 3,1 % en faveur des femmes. Les promotions : 1, 4 % en faveur des femmes. Les femmes de retour de congé de maternité ont bénéficié à 100 % des augmentations perçues pendant leur absence. Et, enfin, 2 femmes figurent parmi les 10 plus hautes rémunérations. Alors, évidemment, le sujet au BRGM, c'est la proportion de femmes, dans les postes, dans les postes les plus importants de la maison, les postes de directeurs adjoints, les postes HDR, etc. ou pour gérer les gros projets. Alors, je vais pas... Je vais pas non plus... Alors, vous avez la comparaison entre le BRGM et les autres établissements. Vous voyez BRGM est très en tête avec 93 %. L'ADEME : 92. Et, vous voyez, le CEA est à 74, qui est pas énorme. Et puis, plus surprenant, Radio France est à 73, parce qu'on aurait pu penser que, les médias, c'était quand même assez féminin, hein. Donc, vous voyez que nous sommes quand même bien positionnés. Alors, je veux pas trop, trop parler pour pas qu'Anne Besnier ne puisse pas intervenir longtemps derrière mais je me suis forcément interrogée sur la raison pour laquelle on trouvait peu de femmes dans les postes de direction et pourquoi elles refusaient quand on leur proposait. Je pense que, quelque part, l'âge marquant, c'est entre 30 et 40 ans. C'est à cet âge-là que les femmes ont les charges familiales les plus lourdes avec les enfants. Donc, quand on essaye de monter dans une hiérarchie, c'est évidemment plus prenant. Voilà. Et, quand la femme a, en plus, à assurer la vie de famille, eh bien, c'est une charge qui devient très, très forte et beaucoup hésitent, je pense, sur cette charge de travail. Ou alors, elles n'ont pas, c'est une 1re hypothèse, la 2e, c'est qu'elles n'ont pas le même désir, hein, finalement, de promotion. C'est également peut-être une possibilité. Voilà, je n'en dis pas plus pour ne pas laisser à Anne Besnier un temps trop court. Voilà. Merci beaucoup.

Témoignage de Valérie Masson Delmotte

Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe n°1 du GIEC et directrice de recherche au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement au CEA, nous partage son expérience dans cette vidéo où l'accès des femmes aux postes à responsabilité sera à l'honneur.

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J'ai 47 ans, j'ai grandi à Nancy et enfant, j'étais intéressée par l'archéologie. J'avais un voisin archéologue qui m'emmenait faire des fouilles. Et mes parents m'ont dit : "C'est pas un métier pour une femme. Il y a plein de déplacements." Et j'ai décidé d'être ingénieure quand j'étais au collège, peut-être parce que j'avais une cousine sportive que j'admirais qui était étudiante ingénieure. Mais avec une curiosité pour les sciences en particulier, pour la physique et ce que ça permet de comprendre du monde qui nous entoure. Et j'étais bonne élève. Donc j'ai fait une prépa, j'ai passé des concours avec, au moment du lycée, vraiment une curiosité sur les sciences du climat qui émergeaient. La modélisation du climat, l'observation de la Terre depuis l'espace, l'étude des climats passés, et ça, à travers la lecture de magazines scientifiques. Donc je suis rentrée à l'École centrale de Paris. C'était peut-être 15, 20 % de femmes à l'époque. C'était pas terrible. Un peu de machisme ordinaire en prépa. Quand on passait au tableau, les gars chuchotaient : "cuisses, cuisses." C'était pas malin. Je les trouvais nuls, à l'époque. Et après, j'ai surtout rencontré de l'encouragement. Une forme bienveillante, parfois un peu paternaliste, pour encourager. C'est-à-dire nous pousser à être ambitieuses, nous pousser à oser. C'est plutôt ça qui m'a marquée. J'ai fait le choix de faire une thèse. J'ai fait le choix de démarcher un laboratoire d'accueil. J'ai adoré l'accueil qu'on m'y a fait à plusieurs endroits. "Venez voir ce que c'est que la recherche." "Oui, on est disponibles." Vraiment, les portes étaient facilement ouvertes. J'ai adoré ça. Je suis restée dans la recherche scientifique. Juste après ma thèse, Jean Jouzel m'a confié son équipe. Une vingtaine de personnes. J'avais 27 ans. Et puis ensuite, un groupe de 4 équipes d'une cinquantaine de personnes, qui m'a posé toujours plein d'états d'âme. Comment faire bien ? Comment faire en sorte que les gens soient bien dans leur travail ? Comment faire en sorte qu'ils donnent le meilleur possible ? Sans vraiment avoir appris sur des études purement scientifiques à gérer un groupe humain. Et maintenant, je suis co-présidente d'un des groupes de travail du GIEC, le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat. Et je supervise un ensemble de rapports scientifiques qu'on rend aux représentants de tous les pays pour leur fournir le meilleur état des connaissances. Et c'est plein d'hommes, en fait, qui m'ont poussée à candidater à cette fonction-là, parce qu'on est élus par les différents pays du monde, qui m'ont dit que j'en étais capable. Moi, je pensais pas du tout en être capable, qui m'ont vraiment encouragée, poussée. Je regrette pas, mais c'est un chouette défi. Vous imaginez ? Mener une cession d'approbation d'un rapport du GIEC qui montre l'urgence à agir avec devant vous, des pays pétroliers ? C'est pas toujours simple. Voilà. Donc ça fait partie du défi. Pas toujours simple. Et donc, ce que je retiens, c'est que quand j'étais élève, j'ai pas étudié d'œuvres d'artistes femmes, quasiment. De livres, de peintures, de poèmes. On ne m'a donné quasiment aucun exemple de femmes scientifiques. J'ai reréfléchi. Là, j'ai ouvert les livres de mes filles. J'ai 2 filles de 18 et 21 ans. Quand elles étaient au lycée, très peu d'exemples. C'est sidérant. On est toujours en retard dans ce qu'on véhicule aux plus jeunes. Ce que je voulais également dire, c'est... pour le GIEC, par exemple, en 1990, premier rapport d'évaluation : 2 % de femmes. En tout il y a eu, sur tous les co-présidents du GIEC, depuis 6 cycles d'évaluation, 3 femmes co-présidentes. On est 2 maintenant. Donc il y a quand même une petite marge de progression.

Sur combien ?

Pardon ? On est aujourd'hui à peu près à un tiers dans les membres du bureau du GIEC et on est à peu près à un tiers dans les auteurs, et on n'a plus la marge de manœuvre. Il faut qu'il y ait plus de femmes à des hauts niveaux scientifiques qui émergent pour qu'on puisse les avoir à bord. On a besoin des jeunes filles. On a besoin de vous, de vous engager, de produire des connaissances nouvelles, d'être reconnues, de revendiquer votre expertise, de revendiquer de candidater à des fonctions d'expertise internationale pour que les choses s'améliorent. C'est pas non plus facile dans la vie de famille. Comment vous expliquez à votre belle-mère que vous n'allez pas vous arrêter quand vous aurez des enfants, parce que pour vous, c'est pas la meilleure chose à faire pour vous sentir bien ? Comment vous expliquez à une petite fille de 5 ans quand elle vous demande : "Il y a des mamans à la sortie de l'école, "elles sont là tous les midis et elles font manger leurs enfants et elles dorment tous les soirs à la maison" quand nous, on a une semaine de déplacement par mois ? Et puis après, la même jeune fille à 21 ans qui dit : "Merci de m'avoir permis de devenir quelqu'un de fort, parce que tu m'as montré qu'on peut trouver un équilibre parfois pas simple entre la vie de famille et la vie professionnelle." Donc il y a cette dimension et je veux juste partager 3 expériences rigolotes. Une fois en réunion avec des profs de médecine, j'étais la seule femme, j'étais un peu plus jeune, on m'a demandé de servir le café. Donc j'ai demandé qu'on nettoie mes chaussures en échange. Une fois dans un conseil scientifique en France, où j'arrive et sur ma place, il y avait un mail qu'on avait oublié, imprimé. C'était marqué la liste des participants et à côté de mon nom : "On la garde car c'est une femme." Je me suis permis de le lire pour que les choses soient claires. Donc ça fait aussi partie des choses, je pense, qu'il ne faut pas laisser passer. Quand on est choisie pour participer à des conseils scientifiques, c'est parce qu'on est porteuses de compétences. Et faire croire que c'est parce qu'on est une femme, c'est particulièrement ignoble. Et donc le revendiquer, pas laisser passer, et revendiquer d'être porteur d'expertise et prendre sa place quand on a cette possibilité. Je vais pas exactement répondre à la question. Je vais rebondir sur la question des politiques inclusives. Pourquoi a-t-on besoin de plus de femmes à des postes de responsabilités ? Pourquoi j'aimerais, de mon vivant, voir une femme présidente de la République ou Premier ministre, par exemple, en France ? Parce qu'en fait, quand on a un groupe plus divers qui a des parcours différents, des parcours de vie, quel que soit, en fait, le genre de la personne, en général, il y a plus d'intelligence collective. C'est ça, c'est ce que vous disiez tout à l'heure. Et moi, ce qui m'a vraiment marquée, c'est 2 expériences de campagnes de carottage au Groenland deux mois de suite, donc en 1997 et en 2008, et c'était coordonné par des collègues danois. Et donc le Danemark, comme les pays scandinaves, est bien plus en avance que nous sur des politiques inclusives qui sont bien pour tout le monde. Alors ça démarre par un congé paternité long pour les hommes. Parce que ça permet de répartir plus les rôles quand on a des enfants. Ça structure plus l'engagement des pères et puis ça nuance. Quand on recrute quelqu'un de jeune, on sait que si c'est un jeune gars, il aura aussi un congé paternité, et donc ça amortit un peu les effets maternité-paternité. Ça passe aussi par des horaires de réunions bien faits. Si on met une réunion à 17 h, elle finira à 20 h, on arrivera en retard, ce sera le bazar. Si on la met à 11 h, après, les gens ont faim. Donc elle s'arrête et c'est plus efficace. Et ça, je dois dire que souvent, il se trouve que les femmes sont plus performantes pour gérer leur temps efficacement. J'ai remarqué ça à de nombreuses reprises. Ça passe aussi par des systèmes de frais de garde pour les enfants qui peuvent être pris en charge par les universités, par les entreprises, par l'État, de sorte à ce que ça pèse pas sur le salaire des mères. Donc ça, c'était l'expérience danoise. Donc sur le travail dans mon domaine, il y a effectivement beaucoup de femmes qui essaient d'apporter des conseils aux jeunes femmes justement sur comment faire en sorte de prendre des risques, d'oser, d'essayer. Et puis c'est pas grave si ça marche pas. On n'a pas de regrets. Donc il y a par exemple un réseau de femmes en sciences de la Terre, Earth Science Women's Network, qui est intéressant, parce que c'est la même chose, mais au niveau international. On va voir des situations de femmes qui ont beaucoup de barrières, comme en Suisse aujourd'hui, pour avoir une vie professionnelle académique et une vie personnelle, ou parfois moins de barrières, dans les pays scandinaves ou au Canada, où il y a beaucoup de travaux pour aider les femmes. Sur la partie climat et engagement pour le climat, l'Accord de Paris pour le climat a été porté par de nombreuses femmes. Celles qui présidaient la convention internationale des différents pays, Christiana Figueres et Laurence Tubiana par exemple, qui ont été vraiment des chevilles ouvrières. Donc ça, il faut le montrer. Et l'organisation des grandes villes, qui s'appelle le C40, a mis en place un réseau de femmes engagées par rapport à l'action climat, que ce soit des ingénieures, des urbanistes, des politiques, d'autres acteurs de terrain dans la vie associative, pour justement les mettre plus en lumière. Il y a ce qu'on peut faire, nous, comme je suis de temps en temps enseignante, marginalement... Et donc à l'Université Paris-Saclay, on a regardé quel était le salaire des jeunes femmes deux ans après leur master. Et là, à notre grande honte, on a réalisé qu'à disciplines identiques, c'était 25 % de moins 2 ans après l'embauche que les hommes. Qu'est-ce qu'on peut faire ? Transparence sur les salaires, négocier mieux, les armer pour négocier mieux, les amener à revendiquer des postes mieux rémunérés aussi. Parce que les biais, ils commencent très tôt. C'est ça qui est assez sidérant, pour moi. Et puis dernière chose, les biais inconscients. On pense être tous des gens intelligents, de bonne volonté, mais si on mesure pas, on voit pas le problème. Donc nous par exemple, pour les réunions des chercheurs du monde entier qui rédigent les rapports du GIEC, on a des enquêtes à la fin. Par exemple, tout le monde pense qu'on a une égalité de chances de pouvoir être nominées ou sélectionnées, mais par contre, quand on a des gens autour d'une table qui rédigent, qui passent en revue les connaissances scientifiques et qu'ils rédigent, ils nous disent : "Mais nous, dans nos réunions, la parole est dominée par les hommes." Pourtant des hommes de très bonne volonté qui, eux, pensent faire tout ce qu'ils peuvent du mieux possible. J'ai observé ces réunions et c'est assez sidérant. Vous avez des gens autour d'une table et une femme avec une voix un peu douce ou aigue qui va vers une très bonne idée qui n'est pas retenue par le groupe, qui continue à discuter, puis quelqu'un avec une voix plus grave et plus d'assurance répète la même idée et là, elle est entendue par tous. Ça veut dire qu'on a tous des biais. Qu'est-ce que c'est, une autorité, quelqu'un qu'on va écouter ? C'est plus profond. Comment on déconstruit ça ? Donc on fait venir des consultants sur des pratiques inclusives, participatives pour apprendre aux gens à mener des réunions, pour apprendre à donner la parole aux uns et aux autres, pour permettre aux gens qui ont plus de timidité, que ce soit des hommes, des femmes, des gens qui viennent d'autres régions du monde, des gens qui parlent anglais avec un accent plus fort que d'autres, comment leur apprendre à avoir plus confiance ? C'est-à-dire à répéter leur argument pour être entendus et aux autres, à mener les réunions de sorte à ce que toutes les bonnes idées soient entendues, indépendamment de qui les exprime. Et là, il y a un travail de fond à faire. Mon grand regret, c'est que dans ma formation d'ingénieure, dans ma formation de scientifique, j'ai jamais eu la moindre formation sur ces pratiques-là, inclusives, participatives, comment les mettre en œuvre. Alors qu'en fait, c'est particulièrement efficace parce que ça ouvre un espace de vigilance à chacun, se dire : "Mais là, ça va pas, parce que je mène pas les choses comme il faut." Juste le moment où on se dit : "Je peux faire autrement. Tiens, voilà des petits trucs qui marchent." Et ça change la dynamique de groupe et nous, on mesure, comme vous disiez. Donc on a ces enquêtes de perception à la fin de chaque réunion. Et les gens disent : "Oui. Là c'est transformé. On s'écoute, on se respecte." Et le groupe marche mieux. Il est plus cohérent, il y a une meilleure distribution du travail, les bonnes idées avancent et tout le monde est plus fier du résultat à la fin.

Témoignage d'Elisabeth Vergès

Elisabeth Vergès, Cheffe de service de la stratégie de la recherche et de l'innovation au ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, nous partage son expérience dans cette vidéo où l'accès des femmes aux postes à responsabilité sera à l'honneur.

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Comme je suis au ministère en charge de la stratégie de la recherche tous domaines confondus, Quand je suis arrivée à ce poste... J'ai quand même bientôt 64 ans en même temps, de l'eau est passée sous les ponts. Mais bon, je suis arrivée jusque-là. Au départ, je suis chercheur... Pardon, chercheuse. Chercheuse au CNRS. Donc je suis chercheuse au CNRS dans le domaine des géosciences. C'est aussi pour ça que je suis ici aujourd'hui. Et en fait, ce parcours que j'ai, depuis le CNRS jusqu'à aujourd'hui, je le dois à des hommes. C'est-à-dire que typiquement, en dehors des concours scientifiques, où c'est ma personne, j'ai travaillé de ma personne, tous les autres postes de managers, depuis la direction du labo jusqu'à la direction de la stratégie au ministère, toutes les étapes de ma carrière, je les dois à des hommes qui sont venus me chercher. Et parfois je bloquais. Je disais : "Non, non, non, non." Voilà. Donc je le dois à la confiance de certains hommes qui m'ont fait... C'est étonnant. Voilà. Donc ça, je le... Alors... une anecdote. Comment je suis rentrée au CNRS ? En fait, je suis rentrée au CNRS assez tôt. Parce que j'ai démarré tout très tôt. Je suis rentrée au CP à 4 ans. Donc j'ai eu mon bac à 16 ans. J'ai pas redoublé. Donc je suis rentrée au CNRS à 24 ans. Donc c'est relativement jeune quand même. Donc comment j'y suis rentrée ? Je suis allée voir mon patron de thèse et je lui ai dit : "Moi, ce qui m'intéresse, c'est la recherche en géosciences, continuer le travail que j'ai fait sur ma thèse, etc." Et il m'a dit : "Oui, mais là, non. Moi, je préfère soutenir ton petit camarade - dont je tairai le nom - parce qu'on augmente nos chances si on le présente, lui." Donc ça m'a quelque peu vexée et j'ai cherché dans tous les textes que j'ai trouvés et je me sus présentée en candidat libre au CNRS. Et donc je suis rentrée cette année-là, alors que l'autre n'est pas rentré, dans un autre laboratoire concurrent. J'ai démarré ma carrière comme ça. Et donc je suis rentrée, parce que ça m'avait vraiment vexée. Voilà, j'étais vraiment vexée. Donc j'ai voulu lui montrer que je pouvais le faire autrement. Donc je suis rentrée, voilà. Ça, c'était important de le mentionner. C'était la première étape. Dans mes études, alors moi, j'ai une formation universitaire, comme vous, madame. Donc au début, dans les années 70, les deux premières années étaient communes entre biologie et géologie. Donc pendant 2 ans, on était à peu près à parité dans les amphis. Parce qu'il y a beaucoup de femmes en biologie. Et quand je suis arrivée en 3e année, où il n'y avait que de la géologie, là, je me suis demandé si je me m'étais trompée de salle de cours. Il y avait vraiment, je dirais, 80 % de garçons en géologie. La rupture était flagrante entre la 2e et la 3e année. Bon. Ça ne m'a pas gênée. J'ai toujours été entourée d'hommes relativement intelligents, quand même. On est dans un milieu éduqué. Et puis on évite ceux qui ne le sont pas. Donc ça aide. C'est vrai que dans un milieu comme le nôtre, c'est quand même plus facile à vivre. J'ai même épousé un ingénieur BRGM. Donc vous voyez... Tout est possible.

Il est pas rancunier.

Moyennant quoi, je voudrais insister sur un point. Je trouve que professionnellement, les questions que j'ai pu avoir n'ont jamais été liées au fait que j'étais une femme ou alors je ne l'ai pas vu, mais au fait que j'étais une mère. C'est là où se fait toute la différence. Parce que, quand on est... Alors moi, j'ai eu 3 enfants et puis un mari BRGM. C'est-à-dire absent. Voilà. Donc 3 enfants, c'est lourd. Alors, comment j'ai pu passer ça ? En fait, je me suis arrangée pour que ça ne se voie pas. C'est ça qu'il faut voir. C'est-à-dire que j'ai eu une armée de nounous, de filles au pair. Mon salaire CNRS bien... Voilà. Donc qui ont géré ces enfants et qui ont fait en sorte que ça ne se voie pas et que je puisse avoir des réunions jusqu'à 19 h et que je puisse... Voilà. Donc j'ai fait en sorte que ça ne se voie pas. Donc il y avait quand même un prix à payer. Et aujourd'hui, la société doit prendre en compte le fait que les enfants, les femmes les font, pour l'instant. Donc voilà. Et donc c'est quand même... Bien sûr, j'ai pas vu de différence, parce que j'ai fait en sorte qu'il n'y en ait pas. Et mes enfants, je pense que beaucoup des vôtres aussi, ont fait quand même de la garderie avant l'école, après l'école, les derniers avec le sac sur le dos en attendant qu'on arrive, etc. Donc il y a un prix à payer quand on est mère, plus que quand on est femme, je pense, dans le milieu professionnel. Les sujets de parité au sein du ministère, c'est un sujet en soi. Le sujet de la fonction publique, l'équilibre des rémunérations, des carrières, etc. Et c'est pas un sujet qui me concerne directement en n'étant pas membre du ministère à part entière. Dans mon service, il y a 60 personnes. Ce sont exclusivement des chercheurs, ingénieurs et enseignants chercheurs qui viennent des organismes de recherche et des universités pendant 3 à 6 ans pour travailler dans ce service. Donc c'est un service très spécifique où il y a que des scientifiques avec une ambiance de labo, je dirais, plutôt que par rapport au reste du ministère. Moi, je fais attention sur les postes de responsabilité de tendre vers la parité ou tout du moins d'avoir des femmes, aussi parce que je trouve que les réunions quand il y a un équilibre de genres, sont plus conclusives. Et puis aussi, les femmes ont une capacité, je trouve, à se remettre en cause et à discuter avec d'autres sans préjugés, et sans se remettre en cause elles-mêmes qui fait que ça fait avancer souvent le débat, alors que parfois, les hommes sont un peu frileux sur la façon de dire ce qu'ils pensent au fond. Donc voilà, il y a pas mal de femmes. Sinon, notre boulot au ministère, c'est d'embêter tout le monde sur la parité. Eh oui, c'est nous qui regardons dans les organismes de recherche, au BRGM ou dans les universités, etc., s'il y a bien la parité. On met donc des indicateurs sur tous les contrats de performance et la contractualisation des universités aussi pour essayer de tendre sur la parité, sur les problèmes de promotion, des problèmes de représentation des femmes cadres, etc. Donc on met des objectifs sur ces établissements de recherche. Par ailleurs, nous-mêmes, puisque nous nommons des membres, par exemple, au Comité national ou au Comité national des universités, au CNU. On a des membres nommés que l'on doit nommer à parité. On nomme aussi des personnes à l'Institut universitaire de France à parité. Alors évidemment, il y a une génération de femmes qui se retrouvent sur la sellette et qui se retrouvent avec une surcharge de travail, parce que je vois évidemment les noms revenir, des femmes, parce qu'elles sont en nombre moindre dès lors qu'on les met à parité. Évidemment elles ont une surcharge de travail. Donc j'espère que la génération future ne ressentira plus ça. Que tout se sera normalisé. Mais c'est vrai qu'il y a une génération qui prend énormément sur elle sur l'implication dans tous ces comités : des comités de recrutement, des comités ad hoc et des conseils scientifiques, parce qu'on a quand même une capacité à en avoir un certain nombre dans notre milieu, qui fait qu'aujourd'hui, les femmes sont sursollicitées. Voilà. Donc sur le fait de quota ou pas quota, nous, en fait, on a... J'allais dire un vivier qu'on connaît par les uns et les autres de gens compétents. Ce sont des hommes et des femmes. On n'a pas cette problématique : ils doivent être compétents. On a un vivier de gens compétents donc on ne regarde pas ça. Mais le fait de faire la parité, évidemment, sursollicite les femmes.

Témoignage de Corinne Leyval

Corinne Leyval, Directrice de recherche au CNRS et Directrice d'OTELo (Observatoire Terre et Environnement de Lorraine), nous partage son expérience dans cette vidéo où l'accès des femmes aux postes à responsabilité sera à l'honneur.

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Alors moi, je ne suis pas géologue, mais je viens de Nancy. On a une brochette de personnes qui viennent de Nancy. J'ai une formation plutôt en sciences du sol, et moi, mon modèle, ça a été Philippe Duchaufour, qui a été un des premiers pédologues à considérer la contribution du biologique dans la formation des sols et ça m'a vraiment passionnée et ça a été à l'initiative de ma carrière de chercheur. Donc j'ai une formation universitaire et je dirais que, j'ai jusqu'à un doctorat, je n'ai absolument pas senti le fait que j'étais une femme et que ça pouvait représenter un problème. J'ai fait mon petit bonhomme de chemin. Je suis rentrée au CNRS. Et je dirais que quand j'ai commencé à sentir cette différence entre hommes et femmes, c'est quand j'ai pris des responsabilités. Responsabilité d'une équipe puis d'un laboratoire. Et là, je me suis retrouvée dans des réunions où il y avait plus que très peu de femmes et des réunions qui pouvaient commencer à 17 h, et donc ça... J'ai eu des enfants aussi et là je me suis dit : "Ça commence à être compliqué." Mais je pense qu'on a pu en parler, et le fait que j'étais une femme a permis aussi de dire quand je disais : "Est-ce qu'on pourrait faire la réunion plus tôt ?" Finalement, ça a été accepté. Et par rapport à d'autres commentaires qu'on a entendus, je pense qu'il faut le dire. Il faut promouvoir ces changements et que maintenant, je pense que beaucoup de jeunes, y compris d'hommes, sont prêts à le faire, parce qu'ils ont aussi envie d'avoir une vie de famille. Donc les choses peuvent changer. Alors peut-être une petite anecdote aussi. J'ai eu aussi mes enfants assez tard. Et j'ai présenté un concours pour devenir directrice de recherches. On avait un oral, alors que j'étais enceinte. Et ça n'a pas été un bon choix, puisque cette année-là, on m'a fait comprendre que cette année-là, j'avais mieux à faire. Et ça m'a profondément vexée. Et l'année d'après, je suis revenue, vraiment gonflée à bloc et je suis passée. Donc je suis passée peut-être un peu après, mais c'est le seul moment où j'ai senti que c'était pas forcément ma place. Mais, quand on a un gros ventre, ça se voit. Après, j'ai participé à des concours de recrutement de jeunes chercheurs au CNRS. Et là, on s'est rendu compte, mais pas uniquement moi, mes collègues féminines et masculins aussi, que pour le recrutement, et en particulier pour les promotions, on avait très peu de femmes qui se présentaient. Et si dans un premier temps, on essayait de... comment dire ? D'affecter les promotions au pourcentage de personnes qui se présentaient, après on s'est dit : "Non, ça ne va pas." Et actuellement, le pourcentage de promotions est plutôt calculé en fonction des effectifs, et non pas des personnes qui se présentent. Et le problème qu'on rencontre beaucoup, c'est qu'effectivement, les femmes s'autocensurent et ne se présentent pas, parce qu'il y a une opération de dire : "Ben voilà. Je me sens qualifiée pour obtenir une promotion". Et je pense que moi-même, j'ai ressenti ça aussi. J'ai attendu assez longtemps finalement pour candidater sur des promotions. Et je pense que là, il y a un gros travail à faire. C'est de donner confiance, d'accompagner en disant : "Mais si, il y a cette possibilité. Allez-y, vous êtes très compétente." Et pour moi, le gros travail est là. Et le dernier point que je voudrais mentionner, c'est que j'ai participé à plusieurs réunions de ce type et je regrette toujours de ne pas voir les hommes dans cette salle. Donc on a des jeunes filles qui viennent de lycées, mais pourquoi les garçons ne viennent pas ? Finalement, le problème restera le même si on n'a que 50 % de la population qui partage ce problème. Je dirige une OTELo. Ça veut dire Observatoire Terre et Environnement de Lorraine. C'est un observatoire des sciences de l'univers du CNRS et pôle scientifique de l'université de Lorraine. Et je pense que les choses évoluent beaucoup dans le sens qu'on peut appeler de manière péjorative un quota mais qui fait que dans la constitution de nos conseils, de comité de recrutement, on a l'obligation d'avoir à peu près la moitié de femmes et d'hommes. Ça peut paraître une contrainte et parfois ça l'est, parce qu'on est obligés de trouver suffisamment de femmes. C'est souvent plus difficile que de trouver des hommes qui veulent y aller. Mais je crois qu'on ne pourra pas éviter de passer par là pour avoir ce débat et ces discussions dont on vient de parler, se poser même la question de comment on fait pour aller vers plus d'égalité. Et je pense que c'est une obligation pour faire avancer les choses, même si c'est compliqué. À l'université de Lorraine, on n'a pas une obligation d'une femme dans les jurys de thèse, mais de la parité. Et c'est extrêmement compliqué. Mais parfois, on se retrouve aussi dans la situation où on a trop de femmes. Et je trouve que c'est bien quand on arrive à des situations où on va nous dire : "Là, ça va pas, non plus. Il faut mettre des hommes." Je pense que la situation idéale, c'est quand on va spontanément se dire : "Il faut mélanger, sans qu'on se pose la question de "est-ce bien ou pas bien." Donc je pense que les choses évoluent, et je voudrais juste témoigner de cette structure dont je parle qui s'appelle OTELo, dans laquelle on a 4 directeurs d'unités, une directrice de l'école de géologie. Eh bien maintenant, on est quasiment à 50 % de femmes. Ça s'est fait tout seul. Et c'est très bien et je pense que les choses vont petit à petit évoluer.

Quand on les cherche, on les trouve. Elles existent. Et quand on les encourage, elles viennent.

Bien sûr, tout à fait. Il faut accompagner. C'est aussi quelque chose qu'on essaye de faire. Et je pense que c'est très important pour les femmes même s'il faut le faire aussi pour les hommes, Mais pour les femmes, ça passe pas pareil.

Témoignage de Cécile Robin

Cécile Robin, maître de conférences et co-responsable "Enseignement des Sciences de la Terre" à l'Université de Rennes 1, nous partage son expérience dans cette vidéo où l'accès des femmes aux postes à responsabilité sera à l'honneur.

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Moi, je suis rentrée à l'école du jury de Nancy en 1989. Je suis sortie en 1992. C'était franchement pas un problème. On pouvait faire un bac scientifique. Il y avait des enseignants qui vous poussaient si vous étiez bon en maths, à faire une prépa scientifique. On faisait une prépa scientifique. J'ai fait le BCPST parce que je voulais faire de la géologie et que Nancy à l'époque ne recrutait que sur ce concours. À Nancy, on se retrouvait avec un quart de promo de filles et trois quarts de garçons. On n'était pas encore au 50/50. Mais c'était pas un souci. Quelle que soit l'option, on nous mettait en valeur. Emmanuelle était le nom qu'on nous donnait des toutes jeunes recrutées. On nous disait : "Allez en plateforme pétrolière." Tout s'ouvrait. Je pense que ce qui m'atterre un peu, c'est que j'ai vraiment eu le sentiment que, moi, j'ai connu ces années où tout s'ouvrait. Et j'ai l'impression que 30 ans après, on a les mêmes soucis. Je suis assez étonnée qu'on n'ait pas avancé plus que ça sur 30 ans. Il était clair que nous on était le virage, mais tout s'ouvrait à nous. Je trouve ça dommage que, finalement, on n'ait pas bougé ces dernières années. Et donc que s'est-il passé après ? Après Nancy, j'ai décidé de faire une thèse. Alors pas du tout par contrainte. J'ai passé les pré-embauches Total et Elf, à l'époque. Alors une petite anecdote quand même, quand j'ai passé les pré-embauches pour Elf, je suis tombée sur un monsieur qui avait un certain âge à l'époque et qui m'a dit en tout début d'entretien : "Mademoiselle, vous avez un gros souci." Et à l'époque, on pouvait faire toutes ses études avec de l'allemand, par exemple, et pas de l'anglais. Je n'avais jamais fait d'anglais. Et je me suis dit : "Mince, il va voir le problème." Parce qu'il aurait mieux fallu faire de l'anglais que de l'allemand. Et donc j'étais prête à argumenter sur ma langue, j'étais prête à parler anglais... Il me dit : "Mademoiselle, vous êtes une femme." Honnêtement, j'ai été tout de suite soulagée. Il n'a pas vu le problème de la langue et être une femme, pour moi, n'était absolument pas une contrainte. Et je pense qu'il faut refuser de rentrer dans cette discussion. Il faut absolument refuser, ne même pas y penser. Il faut pas se penser femme plus qu'homme dans le milieu professionnel. Tout le reste, on y tient. Mais franchement, il faut refuser ça. D'ailleurs, ce jour-là, il m'a donné le coup de pouce qui me fallait. D'ailleurs, j'ai été pré-embauchée. J'y suis pas allée parce que j'ai voulu faire une thèse. Et pareil, j'ai eu l'impression... On trouve des collègues qui vous ferment la porte, qui vous font comprendre qu'un prof homme vaut plus qu'une maître de conf' femme. Mais honnêtement, on trouve aussi plein de gens... Et le tout, c'est de bien être accompagné, il faut choisir. Je pense qu'en choisissant les gens qui ne rentrent pas dans ces discussions, on promeut une façon de travailler qui est intéressante. Il faut promouvoir cette façon équilibrée. Il faut être bien accompagné dans la vie professionnelle. Mais dans la vie personnelle, on disait : "Le moment des naissances, etc." Il y a quelques impératifs biologiques. Moi, j'ai eu mon fils à 40 ans. Bien plus tard que la fameuse période 30-40 ans. Le hasard de la vie. Eh bien, il faut gérer ensemble. Et donc accompagnez-vous bien, promouvez les hommes qui vous accompagnent bien et vous verrez que, finalement, ça passe toujours aussi bien.

C'est le premier conseil, d'ailleurs.

Exactement, il faut bien choisir.

Bien choisir.

Et donc j'ai été maître de conf' à Paris 6 et ensuite à Rennes. Alors c'est peut-être là, on parle de plafond de verre... Moi, j'ai fait un choix qui n'a pas été très facile. On était tous les deux dans l'académique. On a vécu 8 ans séparés, Rennes-Paris, on n’arrivait pas à se retrouver. Alors c'était un choix difficile de vivre séparés. Mais justement, à nous de mettre les équilibres où on peut, où on veut. Et à un moment, il a fallu regrouper les troupes. Et là, pour le coup, c'est moi qui ai fait le choix pour des raisons personnelles et professionnelles. Donc peut-être que là, je me suis mis un obstacle. En allant à Rennes, je savais que les promotions sont moins évidentes pour des raisons diverses et variées. Mais après, il faut assumer ses choix et finalement ne pas s'arrêter. On peut ne pas avoir de promotion et prendre toutes les responsabilités qui s'offrent à vous. Il faut s'imposer tous les jours. Il y a des choses qui se font et des choses qui se font naturellement. Alors de façon naturelle, il est, bien sûr, hors de question, au moment du recrutement des étudiants à l'université, de faire de la sélection. C'est le principe de l'université. L'avantage, c'est qu'on ne fait aucune sélection que ce soit sur n'importe quel critère, entre autres homme-femme. Il apparaît clair que les sciences de la terre, enfin moi, pour avoir connu deux universités, il n'y avait pas une préférence spécifique homme-fille, homme-femme. Alors parfois avec une vision effectivement variable du métier, je pense qu'effectivement, il faut avancer sur le métier. Moi, je suis géologue de terrain. Je revendique, pas ma chemise à carreaux, mais mes grosses chaussures et mon marteau. Donc faut montrer que qu'importe, en fait, ce qu'on aime, mais qu'on peut valoriser... Et, par contre, aussi valoriser dans l'autre sens parce que je pense que c'est la mixité qui va faire changer le regard. Je m'occupe d'une filière qui prépare au CAPES et à l'agrégation, donc les futurs enseignants du secondaire. Je revendique de faire de ces futurs enseignants du secondaire... C'est des gens qui aiment la géologie, ce qui n'est pas gagné. Et entre autres, je revendique de former de jeunes garçons. Or, dans ces filières, elles sont féminines et je trouve ça dommage. Parce qu'on retrouve pourquoi les jeunes femmes... Parce qu'en face d'elles, elles ont que des profs femmes de SVT, alors qu'en maths et en physique, ils auront des hommes. C'est assez incroyable de devoir faire ça. Je pense qu'il faut valoriser les garçons dans les filières féminines. Alors les valoriser en toute égalité évidemment, mais montrer que tout le monde doit travailler de la même façon, que tout le monde a sa place et que tout le monde doit être traité de la même façon même si l'échange de ratio est différent. Je pense qu'il faut être vigilant à ça. Alors après, les universités et le CNRS ont été vigilants, effectivement. Je parlais de cette impression que rien n'avait avancé depuis les années 90. J'exagère un peu, mais je pense qu'effectivement le problème est qu'à un moment, il faut faire venir de nouvelles personnes. Alors il a été mis en place des normes de recrutement. Au départ, c'était un pourcentage par rapport aux gens qui candidataient, on a vu ce seuil se placer, effectivement, maintenant dans les sections CNRS, dans l'enseignement supérieur, on essaie de mettre des pourcentages au nombre, proportionnels à la parité dans les personnes en poste et non plus dans les candidats. Ça a permis d'augmenter un peu la part faite aux femmes. Je vais dire quelque chose qui souvent passe mal, mais je vous le dis quand même, c'est que, par contre, je me méfie de la parité. Quelqu'un l'a dit tout à l'heure. Je refuse que notre poste soit justifié par le fait d'être une femme. Alors quand je dis ça, tout le monde dira : "Pourtant..." Il faut être vigilant, il faut revendiquer, mais il faut que la qualité scientifique, en l'occurrence dans notre métier, mais quel que soit le métier, soit le 1er critère. Et si la femme est la meilleure, eh ben, tant pis pour le monsieur. Il faut être vigilant, mais par contre, il faut se rendre compte que comme on a du mal à passer ce pourcentage, les comités sont masculins, donc il faut quand même leur imposer un warning, il faut leur imposer... Je pense que c'est important, ces ratios, mais ne revendiquons pas une parité bête et méchante parce que de toute façon, on le payera à un moment.

Il faut une parité intelligente.

Voilà, exactement. Je pense que c'est important. Et petit à petit, il faut passer ces étapes. Et là actuellement, le 30%, c'est exactement ce seuil qu'on n'arrive pas trop à passer. Et c'est le cercle vicieux parce qu'on essaye, par exemple, dans les jurys de thèse, il est imposé une femme. C'est pas énorme, sur 6 membres, une seule femme. Mais on les trouve pas, parfois, parce qu'on est peu à être qualifiées pour être dans ces jurys. Donc on est toujours dans le même pool, et donc on s'essouffle à participer à tous les jurys de thèse. On essaie de le faire. Souvent, on y va quand même avec plaisir, parce que les sujets sont hyper intéressants, mais on a un problème de seuil à passer.

Donc ce qui redonne l'importance de la parité puisqu'on a besoin que les jeunes femmes qui passent leur thèse aient des modèles féminins dans leur jury, et évitent, comme certaines ont pu me le raconter, d'avoir des jurys entièrement masculins qui vont, éventuellement, leur lancer des regards où leur faire des réflexions sexistes, et ça existe encore.

On va donner la parole...

Juste un dernier point. Ce qu'il faut se rendre compte dans l'enseignement supérieur, c'est qu'il reste un seuil, encore une fois, entre enseignants-chercheurs, maîtres de conférences et professeurs. Ça serait mentir. Qu'on se ressemble moins, si je ne dis pas de bêtises, au CNRS, Puisque cette promotion au CNRS n'est pas synonyme de mutation, elle est purement sur la qualité scientifique de la personne. Heureusement et normalement, comme la nature est bien faite, tout le monde à égalité, la promotion doit se faire à égalité. Sur l'enseignement supérieur, elle peut être synonyme d'une mutation. Et là, il faut bien le dire, les femmes ont tendance à faire passer leur vie personnelle un peu plus en avant.

Ou la carrière de leur conjoint.

Oui, mais effectivement la mutation et donc ça, c'est une revendication d'essayer faire que le plus possible, les mutations ne soient pas enjointes à une mutation... Et les promotions ne soient pas enjointes à une mutation, ce qui, je pense permettra de passer ce seuil des 30%.

Témoignage de Judith Sausse

Judith Sausse, ​Directrice de l’Ecole Supérieure Nationale de Géologie, nous partage son expérience dans cette vidéo où l'accès des femmes aux postes à responsabilité sera à l'honneur.

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Bonjour à toutes et à tous. Moi, ça va être plus simple que toi. J'ai un parcours qui est purement universitaire. C'est-à-dire que globalement, j'ai eu mon bac en 89. J'ai rapidement enchaîné vers les géosciences en entrant à la faculté des sciences. Pourquoi j'ai choisi géosciences, parce que du côté biologie, j'avais un professeur qui était le spécialiste mondial de la greffe du mirabellier, mais que ça m'a pas forcément botté. Donc je suis partie plutôt sur les géosciences, parce qu'on avait des gens qui revenaient d'Afrique avec des histoires pas possibles et des voyages à nous raconter. Donc je me suis engagée en géosciences. J'ai passé un DEUG en géologie. À l'époque, on avait ça. Un bac+2. Donc un DEUG. Ensuite, je me suis plutôt orientée vers la physico-chimie des minéraux et matériaux. J'avais envie de cette dimension physique-chimie qui existe dans les géosciences également. J'ai fait un DEA en géophysique. Et ensuite une thèse sur la géothermie haute enthalpie avec quelques collègues, dont Sylvie et Christelle ici, dans la salle, notamment sur les réservoirs fracturés principalement et sur le site pilote de Soulz-sous-Forêts, en Alsace. Après cette thèse, j'ai eu l'opportunité d'être prise sur un poste de maître de conférences. Ce poste de maître de conférences était un choix aussi familial puisque mon conjoint a mis 7 ans derrière à retrouver un emploi au même endroit que moi. Donc j'ai eu la chance d'être bien entourée pour pouvoir asseoir mon métier. Donc j'étais plutôt enseignant-chercheuse. J'ai fait de la recherche et j'ai commencé à prendre goût un peu à la gestion. C'est les étudiants qui m'intéressaient finalement un peu plus. Et donc j'ai commencé à prendre des responsabilités de gestion de formations, en particulier la licence géosciences à Nancy. Et puis l'un dans l'autre, ça a enchaîné et j'ai compris que j'avais envie à nouveau de pouvoir gérer ça en termes de gestion des étudiants, des enseignants. Et j'ai eu l'opportunité en 2011 de rentrer à l'École des mines de Nancy à la direction des études, où j'ai passé 6 ans. Ça m'a donné encore plus goût à la gestion et puis j'ai eu l'opportunité en fin de mandat de Jean-Marc Montel de pouvoir candidater à l'École de géologie, et donc j'ai été nommée directrice de l'école le 1er octobre 2018. Donc effectivement, ça fait un an quasiment...

Et tout ça, sans freins ni obstacles ?

Écoutez, je vais peut-être détonner, mais non. La seule chose que je peux dire, c'est que la période des 30-40 ans, dont on parlait tout à l'heure, effectivement, moi, je l'ai réservée à ma famille. Et effectivement, les 40 ans passés, ça m'a donné l'opportunité de candidater sur ces postes-là. "Plus libre" dans ma tête, donc c'était important pour moi. Mais non, pas forcément de freins. Après la petite chose que je peux dire, c'est que lors de ma candidature à l'École de géologie, je suis la première femme en 111 ans à l'École de géologie. J'ai eu des remarques un peu désobligeantes du style : "Tu pars avec une longueur d'avance, puisque tu es une femme." Et c'est un peu perturbant, parce que j'ai travaillé sérieusement mon dossier de façon importante, et on n'était pas à compétences égales.

Ça faisait 111 ans qu'il y en a qui partaient avec une longueur d'avance, mais le fait qu'on rétablisse un équilibre...

Mais c'était pas bloquant. Je me suis pas sentie gênée par ça. Je me suis dit tant pis, c'est comme ça. Donc j'ai pas eu forcément de freins, réellement. Et par rapport à ce que disait Pierre sur l'École de géologie, moi, je suis née en 1971, et 71, c'est la première fille diplômée de l'École de géologie. C'est Joëlle Riss que Sylvie connaît bien. Je crois qu'elle est rentrée à l'école en trafiquant son prénom. Elle a enlevé le "le" de Joëlle pour paraître un peu plus masculin, on va dire. Et voilà. Mais donc actuellement, c'est plus le cas. C'est pas vrai ? Alors, Sylvie, tu témoigneras...

C'est une légende urbaine.

C'est une légende urbaine.

Beaucoup de femmes dans l'histoire se sont travesties en hommes pour obtenir certains postes. Il y en a eu beaucoup dans l'armée dans les siècles passés, par exemple.

J'ai revu Joëlle qui est revenue d'ailleurs à l'école dans le cadre d'une petite fête avec la promotion 1971. Donc ils évoquaient ces petites choses-là. Par contre à l'École de géologie, depuis une dizaine d'années, on a 50 % de filles. Donc ça veut dire que ce cap de 71, ensuite, il y a une augmentation assez graduelle, et là, on est assez fiers de ces 50 % de filles. Alors pourquoi ? Tout simplement, parce qu'à nouveau, on en a parlé tout à l'heure, l'école recrute à partir de différentes filières. Donc on recrute effectivement sur BCPST où la proportion de filles est un peu plus importante que dans les autres filières MP, PC, PSI, en particulier. Mais j'ai aussi des filles dans ces filières-là. Donc ce pourcentage de 50 %, il est relativement constant et on n'a plus de discrimination en termes de postes ou de débouchés derrière. On a des filles qui partent faire de l'exploration en Guyane. On a des filles qui partent partout dans le monde. On a des filles geek qui restent devant un ordinateur pour faire de la simulation. Donc c'est pas un problème. Du point de vue de la formation, on est contents de notre 50 % de filles dans nos promotions. Donc 200 élèves par an. Par contre, je pense qu'il est important de... Pour moi, le côté femme-homme en géosciences, c'est de réexpliquer ce qu'on fait, c'est quoi notre métier finalement ? Parce que quand on va au collège, quand on va au primaire, on essaye de plus en plus d'aller vers ces populations plus jeunes, le géologue, c'est encore le gros barbu avec sa chemise à carreaux qui casse du caillou toute la journée. Mais sans plaisanter, je pense qu'autant l'École de géologie est prestigieuse, historique, etc. Il faut réexpliquer ce qu'on fait. Et c'est là qu'on expliquera qu'il y a de place pour tout le monde. Et au passage, le gros barbu, ça peut être aussi une femme.

Il faut changer de role model.

Il faut l'imaginer sans barbe. Donc je pense qu'il y a un travail de communication au niveau, mais on attaque, nous, les classes préparatoires et les lycées, un peu moins les lycées, je pense qu'il faut qu'on descende plus bas et qu'on aille chercher les plus jeunes pour leur expliquer ce qu'on fait, c'est quoi un géologue. Il n'y a pas que des paléontologues et des vulcanologues dans nos métiers, il y a encore ces stéréotypes. Je pense qu'il faut qu'on travaille. Donc ça, c'est pour moi le premier point. Après, au niveau de l'école, ça se passe évidemment très bien. On n'a pas tellement d'action envers les élèves, parce qu'ils arrivent déjà avec cette mixité et ils l'apprécient. Donc on va essayer que ça perdure. Alors on monte un peu en puissance sur les filières autres, à nouveau, que BCPST. Mais ça, c'est notre devoir de communication et d'attirer aussi les filles qui sont dans ces filières-là aussi et continuer à les attirer ainsi que les MP, PC, PSI. Donc à mon avis, c'est une histoire de communication pour les formations.

Et côté enseignants ?

Et côté enseignants, Manoelle en parlera peut-être, mais depuis que je suis à l'école, j'ai changé mon équipe de direction. Donc j'ai une directrice des relations internationales, j'ai une directrice des études, on a une directrice du pôle scientifique qui est à mes côtés. Là, j'ai fait ce qu'effectivement, les hommes ont fait pour moi à un moment de ma carrière. Je suis allée les chercher en leur disant : "Tu viens à côté de moi et on travaillera bien ensemble." Et donc ce travail de mentorat, je l'ai expérimenté à petite échelle au niveau de l'école. Mais je pense qu'une fois qu'on est dans la place, on peut faire ce rôle-là.

Témoignage de Manoelle Lepoutre

Manoelle Lepoutre, ​Directrice Engagement Société Civile au sein du groupe TOTAL et Déléguée Générale de la Fondation TOTAL​, nous partage son expérience dans cette vidéo où l'accès des femmes aux postes à responsabilité sera à l'honneur.

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Il faut assumer ses choix déjà. Moi, j'ai fait un choix très jeune. Je voulais faire de la géologie, être ingénieur et être dans le monde économique. Ça faisait beaucoup. Personne n'y croyait autour de moi, ça, c'est clair. J'ai quelques années de retard, mais pas beaucoup, sur toi et pareil, j'ai vécu le directeur de l'école me disant : "Mais vous êtes dans les 10 premiers à l'Agro, "vous êtes reçue à Normale Sup', que faites-vous là ?" J'ai dit : "Pas de chance, vous allez devoir me supporter." Et en effet, il m'a supportée et m'a même soutenue après dans mon parcours, très honnêtement, parce que je pense qu'il faut quelquefois oser casser les barrières. Je ne sais pas s'il a continué après à faire ce genre de remarques, dans les concours, aux jeunes femmes. J'espère que non. Ensuite moi, je voulais faire ce métier. Donc des tas d'obstacles, des tas de remarques du style à l'embauche, à la pré-embauche, parce que j'étais pré-embauchée : "Mais mademoiselle, vous allez vous marier, je suppose." Je l'ai regardé et j'ai dit : "Pourquoi vous me dites ça ? Vous le savez, vous ? Moi, je ne le sais pas." Des choses comme ça où je crois qu'il faut oser. Chaque fois que j'ai osé, tout en respectant la personne en face, à l'époque, c'était intuitivement, aujourd'hui, c'est plus mesuré, on décode plus les stéréotypes, mais je crois qu'il faut le faire quand on a envie d'assumer ses choix. Ces choix ne sont pas toujours faciles. Plusieurs fois, je me suis dit : "Pourquoi j'ai fait géol' ?" J'étais bonne en maths, ç'aurait pu être plus facile. Mais je me suis dit : "C'est moi qui l'ai voulu donc je l'assume et j'y vais." C'est un message pour toutes les jeunes filles qui sont ici : il faut choisir, il faut y aller, il faut pas se faire influencer si on sent que ça correspond pas à sa personnalité, parce que c'est là où quand il y a des difficultés, parce qu'il y en a toujours dans une vie, on le regrette. Après, j'ai eu des soutiens aussi. Mais comme les hommes. On tombe sur une hiérarchie qui vous repère, qui vous pousse. C'est ça, la vie en entreprise. J'ai beaucoup travaillé. J'ai un conjoint aussi avec qui on a tout partagé en permanence dans nos choix. Lui, parfois, a fait le choix de me suivre dans mes déménagements, puisque je lui allée sur des plateformes, j'ai fait un métier classique de géologue d'exploration, tout cela en progressant régulièrement. Quelquefois, on m'a fait redoubler. On se disait, j'imagine : "Elle s'entend super bien avec son patron, il y a un problème." Donc on la met avec un autre patron très machiste pour la tester. Donc ça m'est arrivé 3 fois dans ma carrière, ça. Mais tant pis, c'est comme ça. Vous le savez, vous dénoncez gentiment les choses et vous avancez. Puis après, une fois que vous avez percé un ou deux plafonds de verre, c'est un peu l'inverse. En tous cas, dans mon cas, dans un milieu d'hommes, j'ai géré en permanence des équipes 100 % masculines, quand j'ai commencé à avoir des responsabilités humaines, très diverses par contre, multiculturelles, et c'est là où j'ai appris l'intérêt de la diversité en management. J'étais pas du tout ce qu'on appelle féministe jusqu'à un moment où j'ai réalisé que je l'étais. J'ai été nommée dirigeante chez Total, on était 3 sur 300, 3 femmes sur 300, quand même, c'était début des années 2000, 2004 exactement, d'ailleurs. Et là, certaines de mes collègues, j'étais nommée patron de la recherche et du développement de la branche exploration-production, et certaines de mes collègues me disaient : "Il faudrait que tu lances un réseau de femmes." J'y reviendrai après. Sur le moment, je leur ai dit : "C'est quoi, ce truc ?" "Il faut bosser, il faut être tactique, il faut ceci... Mais il n'y a pas besoin d'un réseau de femmes". Je vous expliquerai peut-être pourquoi je l'ai fait, si on en reparle. Mais après, j'ai toujours souhaité rester sur le domaine technique parce que je pensais que là, je ferai la différence par rapport à des domaines plus de négociation ou autre jusqu'au moment où, après avoir fait ce poste pendant 5 ans de patron de la R&D, qui est resté somme toute technique, mais déjà très stratégique, là, j'ai accepté que les autres, à l'intérieur de l'entreprise, me voient pour d'autres qualités, et donc j'ai fait un autre parcours me lançant en développement durable et environnement chez Total, ayant des fonctions aussi proches du PDG pour réorganiser le groupe, s'occuper des dirigeants, et depuis 3 ans, on m'a confié une direction de l'engagement avec la société civile. Je pourrais expliquer, mais étant chez Total, c'est pas simple. Il y a énormément de choses à dire. Et honnêtement, ma vision du sujet, très intuitive, quand j'avais un peu plus de 40 ans et qu'un groupe de femmes collègues et amies du groupe Total m'ont dit : "Mais si, prends ce réseau - qui démarrait - le, on en a vraiment besoin." Moi, je voulais pas le faire, en plus, j'étais débordée, j'avais mes enfants, des responsabilités. Puis, il y a eu un moment où j'ai eu un déclic et je me suis dit : je dois me poser la question de comment partager ce que j'ai vécu, des frustrations à certains moments. Même si j'avais pas à me plaindre de ma carrière. En effet, certains hommes m'avaient repérée et m'avaient tendu la main, mais tout le monde a sa carrière faite comme ça, hommes et femmes. La différence, c'est que les femmes le disent. On me demande si j'ai eu des supports masculins, oui, j'en ai eu, mais tout le monde a des supports pour faire carrière. Il faut avoir des compétences, mais il faut aussi se faire choisir. C'est comme ça que tout est organisé. Mais qu'on me dise pas que les femmes en ont et pas les hommes. Ils en ont plus, statistiquement parlant, pour des questions de stéréotypes, de copies de modèles... J'ai lancé ce réseau contre l'avis de mes propres patrons, à qui j'avais demandé l'avis, qui depuis l'adoubent, mais c'est bien, c'est ça qu'il faut faire aussi. En me disant : "Tu prends des risques pour ta carrière". J'ai dit : "Si ma carrière tient à ce genre de trucs..." Tant pis, je verrai bien, et si je fais quelque chose d'innovant, j'étais déjà bien repérée pour mon côté créatif et innovant, tant mieux pour l'entreprise à laquelle j'avais déjà donné beaucoup de choses, dont beaucoup d'efforts et quelques sacrifices pendant une vingtaine d'années. Je me suis dit, on verra bien. Donc j'ai lancé ce réseau en le structurant comme je savais faire, avec le comité de pilotage, en me renseignant, en écoutant beaucoup à l'extérieur. Ce comité de pilotage, je l'ai fait avec des collègues qui étaient déjà souvent dirigeants, les femmes, et des hommes. Parce que j'ai tout de suite considéré que si je faisais ça, bien sûr que c'était pour répondre à une espèce d'injustice que je percevais intuitivement, et puis qui, après, quand on discute avec les unes les autres ou les uns les autres, est évidente, pour des questions que moi personnellement mon expérience managériale était que dès que j'avais des équipes diverses, ça fonctionnait quand même vachement mieux, et beaucoup plus facilement que quand on avait des équipes de polytechniciens, même si j'ai des collègues polytechniciens excellents et adorables, quand même, si vous faites une équipe que de personnes comme ça, ou que de géologues sortant de Nancy, on va prendre l'exemple qui me concerne, on résout des problèmes complexes beaucoup moins rapidement que quand on a un Chinois, un Japonais, comme moi j'ai eu la chance d'avoir, des Néerlandais... Dans une équipe, j'avais pas de femmes. Je me suis dit que rien que pour l'efficacité, ça vaut le coup de se battre. 3e chose, qui est peut-être plus d'ordre philosophique, spirituel, je sais pas comment le dire, je me suis dit que tous ces hommes avec qui je discute quelque part aussi sont victimes des stéréotypes et de ce que la société attend d'eux : réussir suivant des modèles créés par la génération précédente, avec des réunions, devoir sortir le soir prendre une bière sinon tu crées pas ton réseau... Une partie des hommes avec qui je discutais en tête-à-tête, parce que devant leurs collègues ils n'auraient pas osé le dire, me disaient : "Ça me gonfle". Je me suis dit peut-être que nous on va réussir à faire que chacun, chacune prenne mieux sa place, et que ce système qui est à faire évoluer, je suis pas là pour faire la révolution, peut-être que les femmes vont le faire. Je l'ai fait pour ces 3 raisons-là, et on a commencé par se donner des actions d'année en année. Le mentorship, c'est-à-dire quelqu'un d'un peu plus senior qui va parrainer, mentorer, une jeune femme plus jeune était hyper important. Et ça faisait changer autant la mentalité de l'homme que de la femme qui mentorait, parce que l'homme se rendait compte peut-être de freins que se mettaient les femmes, j'en entendais beaucoup parler. Oui, on s'en met, peut-être moins que les autres, mais on s'en met. Il faut que les hommes entendent ça, qu'ils le réalisent. Parce que moi quand j'entends : "Les femmes ne le souhaitent pas", c'est pas qu'elles ne souhaitent pas avoir plus de responsabilités, elles ne souhaitent pas se coltiner le modèle imposé par les hommes. C'est différent quand même, il faut mettre un... C'est pas pareil. C'est ça qu'il faut faire bouger parce qu'on peut avoir des responsabilités en choisissant son mode familial, soit en se faisant aider, on était obligé de le faire, soit en partageant plus... Moi, c'est ça que j'ai voulu faire par le mentorship. Après, l'entreprise elle-même a... Notre but, au comité de pilotage, c'était aussi de faire évoluer les ressources humaines et les managers dans l'entreprise. Donc le groupe Total s'est équipé d'un Conseil de la diversité, officiel, parce que le réseau, c'était pas officiel. On donne des cours sur les stéréotypes, des biais, dans le cadre de ce réseau. Je pourrais en parler des heures. Mais le groupe lui-même s'est fixé des objectifs. Il faut des objectifs. On est tous des scientifiques ou amoureux des scientifiques dans cette salle. Ce qui ne se mesure pas ne se voit pas. Quand on commence à mesurer les choses, on en voit, des trucs. Et moi, je savais pas tout ça. Et donc des objectifs chiffrés, catégorie par catégorie, métier par métier. Et puis on a parlé de la notion des quotas. J'ai horreur d'imaginer que je puisse être un quota. Je comprends. Le 1er conseil d'administration dans lequel je suis rentrée, je pense que j'étais un quota, on me l'a pas dit. Mais depuis, nous sommes 40 % de femmes, et je peux vous dire que ça fonctionne complètement différemment. Donc tant pis si j'étais un quota. Je sais pas s'il faut être pour les quotas, en tous cas il faut être pour les objectifs chiffrés et s'y tenir. Finalement ça revient au même, sauf qu'on gère plus la progression. Et je peux vous dire que chez Total, notre PDG, qui était la personne qui m'avait dit : "Fais pas ce truc de réseau", parraine le réseau. Il s'est donné comme objectif de féminiser progressivement son comex où il y avait 6 personnes qui étaient que des hommes, quand il l'a pris, maintenant ils sont 8, mais il y a 2 femmes. Les dirigeants, là où je vous ai dit qu'en 2004 nous étions 3 femmes au milieu de 300, aujourd'hui nous sommes plus de 20 % de femmes. C'est pas assez parce que dans une réunion de 10, s’il y a pas 20 à 30 % de femmes, on ne nous voit pas. C'est pas parce qu'ils sont méchants, les hommes, je les adore. Mais c'est qu'ils ne nous voient pas. On a fait ça sur toute la chaîne. Et puis après, on aide, on accompagne les femmes. On a plus tendance, et je sais pas à quoi c'est dû, à se dire : "Je vais pas y arriver donc je vais pas accepter", que les hommes qui disent : "J'accepte et on verra bien". Ça, c'est l'éducation ou je ne sais quoi qui fait ça, mais du coup, il faut les encourager. Je passe mon temps à aller voir des jeunes femmes qu'on a repérées et leur dire : "Tu vas y arriver. On va te mettre un mentor. Et si tu n'y arrives pas, avec bienveillance, on regardera comment on peut faire évoluer ta carrière". Si on ne fait pas ça, si on se met juste sous le mode Jungle for fight, et puis si t'y arrives pas, on te tue, ça ne peut pas marcher. Nous, c'est un peu tout ça qu'on a changé chez Total. On n'y est pas encore.