Une datation étonnante
Si l’on savait que les Alpes s’étaient formées lors de deux cycles géologiques, les vestiges encore plus anciens récemment datés à Serre Chevalier dans les Hautes-Alpes proviennent d’un cycle antérieur, appelé le précambrien - c’est-à-dire qu’ils reculent l’âge des roches de cette partie des Alpes de plus de 60 millions d’années vers le passé.
La contribution du cycle précambrien est déjà bien connue dans d’autres régions françaises (Massif armoricain et Pyrénées par exemple) et en Afrique. Mais il était jusqu’alors inconnu dans les Alpes françaises.
Comment naissent les montagnes ?
Depuis l’avènement de la "tectonique des plaques" (et même avant), on sait que les continents ne sont pas fixes, mais migrent en s’éloignant ou se rapprochant au gré de mouvements agitant les parties profondes de la Terre.
Schématiquement, une chaîne de montagnes se forme au cours d’un cycle qui débute par l’ouverture d’un océan où se déposent des sédiments, et c’est quand l’océan se referme et que les continents entrent en collision que les forces gigantesques qui les poussent l’un contre l’autre font naître les montagnes.
C’est en réalité un peu plus complexe. Dans ce processus de migration, de multiples blocs (on parle de "microcontinents") se détachent de leur continent d’origine, et ce sont généralement ces blocs qui entrent en collision et forment les montagnes. Chaque bloc a ses propres caractéristiques et, parmi elles, l’âge des roches est le plus déterminant. L’âge précambrien des roches de Serre Chevalier pose donc la question de la diversité et de l’origine des blocs constituant les Alpes.
Comment déterminer l’âge des roches ?
Pour déterminer l’âge d’une formation géologique (ensemble de roches), on utilise des méthodes différentes selon le type de roche.
S’il s’agit de roches "sédimentaires", c’est-à-dire issues du lent dépôt de sédiments au fond d’une mer ou d’un lac, on utilise généralement les fossiles. Ceux-ci sont les vestiges des organismes qui peuplaient le milieu aquatique et peuvent fournir des indications précises.
Pour les roches dites "cristallines", c’est-à-dire issues de magmas nés dans les profondeurs de la Terre et remontés vers la surface, la datation requiert l’utilisation de méthodes de laboratoire basées sur les propriétés des éléments radioactifs, la "radiochronologie". Les éléments utilisés sont toujours peu abondants - le plus fréquent est l’uranium.
La formation des Alpes
Dans les Alpes, les sédiments se sont déposés en s’accumulant en couches, qui donneront plus tard les reliefs de la chaîne actuelle : falaises calcaires du Vercors et Chartreuse, ou dépressions marneuses de la région de Serre-Ponçon.
Ces sédiments se déposaient sur un socle fait de granites et autres roches cristallines. Celles-ci se trouvaient initialement en dessous, mais ont été expulsées vers le haut lors de la collision continentale formant désormais la plupart des plus hauts sommets - Mont-Blanc et mont Pelvoux en France, ou Grand Paradis en Italie.
Ces roches sont-elles d’origine européenne ou africaine ?
Connaître l’âge d’un massif peut permettre de déterminer son continent d’origine. S’agit-il d’un fragment d’Europe ou d’un fragment d’Afrique, voire même d’Ibérie, puisque celle-ci constituait une plaque particulière avant que sa collision avec la plaque Europe n’engendre les Pyrénées ?
À Serre Chevalier, les analyses effectuées ont fourni des âges proches de -600 millions d’années qui situent ces roches dans le Précambrien (la limite entre Précambrien et ère primaire se plaçant vers -540 millions d’années). Ce socle est donc plus ancien que ceux connus jusqu’alors dans les Alpes françaises qui tous se rattachaient au cycle varisque/hercynien, daté entre -500 et -300 millions d’années. Une partie du socle alpin est donc plus ancienne et se rattache à un cycle géologique antérieur et bien distinct. Un tel cycle est néanmoins présent en France, où il affecte la partie la plus ancienne du Massif armoricain, et plus encore en Afrique où il prend le nom de cycle "Panafricain".
Ces roches sont-elles d’origine européenne ou africaine ? Des travaux complémentaires permettront peut-être de résoudre la question. D’ores et déjà, d’autres terrains de socle des Alpes sont à l’étude afin de mesurer l’ampleur réelle du Précambrien au sein des Alpes françaises. Il s’agit en particulier du socle de la Vanoise, encore mal connu, mais dont des roches datées à -510 millions d’années pourraient représenter un jalon entre le cycle varisque et le cycle antérieur mis en évidence à Serre Chevalier.