Le cirque de Salazie (La Réunion) héberge trois glissements de terrain de plusieurs centaines de millions de mètres cubes faisant partie des plus grands glissements de terrain étudiés au monde. Ces glissements, qui se déplacent jusqu’à plus d’un mètre par an, engendrent des dommages importants sur les infrastructures et les habitations. La compréhension de leur structure, objectif fondamental pour améliorer la gestion des risques liés à ces mouvements, fait partie intégrante du projet de recherche RenovRisk Érosion mené par le BRGM en étroite collaboration avec l’Université de La Réunion.
24 novembre 2022
Glissements de terrain d’Ilet à Vidot et de Mare à Poule d’eau dans le cirque de Salazie

Glissements de terrain d’Ilet à Vidot et de Mare à Poule d’eau dans le cirque de Salazie, La Réunion. L’érosion active des ravines associées aux événements de pluies intenses favorise le déclenchement d’instabilité et le déplacement des terrains sur lesquels est installée la population. Les contours jaunes délimitent des exemples de zones d’érosion active, le contour bleu délimite un compartiment stable.

© BRGM - René Carayol

Le besoin

Du fait de leur histoire géologique et de leur morphologie accidentée, la structure des glissements de terrain de grande ampleur est particulièrement complexe. Imager leur structure, caractériser les écoulements souterrains et mettre ces résultats au regard de leur dynamique représente un enjeu nécessaire pour comprendre les mécanismes qui régissent ces mouvements gravitaires et ainsi mieux appréhender les risques qui en découlent.

Comprendre la structure d’un glissement de terrain avec la géophysique - Projet RenovRisk Érosion

Comprendre la structure interne d’un glissement de terrain avec la géophysique : c'est l'objectif du travail mené par les équipes du BRGM et ses partenaires à La Réunion, dans le cadre du projet RenovRisk Érosion.

© BRGM

Nous sommes dans le cirque de Salazie. Ça s'est créé par un phénomène d'érosion intense à la suite de pluies cycloniques. On a eu du creusement, et finalement, tous ces matériaux se sont évacués vers la sortie du cirque. Par rapport aux 2 autres cirques de la région, la particularité de Salazie, c'est la présence d'immenses glissements de terrain. On dénombre une dizaine de glissements de grande ampleur. On en a deux qui sont particulièrement impressionnants. Ils font des volumes de 250 millions de m3. Une des caractéristique de Salazie, c'est la forte pluviométrie. Il pleut à peu près 3 m d'eau par an. C'est cette particularité entre la pluviométrie qui est assez forte et la géologie particulière qui va expliquer la présence des glissements de terrain ici. La problématique, ce sont les habitations sur ces terrains qui se déplacent. Les habitations sont positionnées sur des terrains qui avancent de manière continue, ce qui va engendrer des fissures qui vont engendrer des risques pour la population ou des risques pour les infrastructures. Pendant le cyclone Hyacinthe, la mare, elle est partie. On a eu un épisode de... 15 jours de fortes pluies. Et ça a déchiré depuis la mare, jusqu'à toute la route que vous voyez, qu'on a dû refaire. Il y avait un belvédère, là-haut ? Oui, il y avait un belvédère qu'on retrouve sur des anciennes cartes postales. Après Hyacinthe, le belvédère est parti. Il a atterri en bas de la falaise parce qu'il y a eu un éboulement. Il y a eu certainement des mouvements de terrain, et avec l'eau, tout est parti. Vous voyez encore des fissures s'ouvrir ? - Oui. - Quand il pleut ? Voilà, quand il pleut, après des épisodes de fortes pluies, on a des failles qui apparaissent. Ce qu'on a pu voir avec les suivis GPS qu'on a mis en œuvre depuis environ 20 ans, c'est des phénomènes d'accélération suite aux précipitations. Concrètement, quand il pleut fort, l'eau va s'infiltrer dans le sous-sol, on le suppose, et cette eau, moteur des glissements de terrain, va permettre l'accélération des terrains. Ici, ce qui va nous intéresser, c'est de savoir comment circule l'eau, où est-ce qu'elle s'infiltre. Suit-elle des discontinuités ? S'infiltre-t-elle à la base du glissement de terrain ? À un niveau intermédiaire ? Finalement, ça, c'est important dans la compréhension du mécanisme. Si elle est juste en superficie, le niveau de risque n'est pas le même que si elle s'infiltre et va en profondeur du glissement. Nous avons déjà une image de la structure interne du glissement suite à une campagne de géophysique héliportée. Il s'agissait de faire une sorte de scan 3D des terrains jusqu'à une profondeur de 300 m. L'idée serait de venir confirmer l'hypothèse qu'on ait 2 surfaces de glissement de terrain superposées et de pouvoir voir s'ils se déplacent à des vitesses différentes. Là, on a un premier aperçu du glissement de terrain dans son ensemble. On souhaite zoomer sur différents secteurs et identifier si on a une présence d'eau, si on a différents compartiments et caractériser l'ensemble du glissement, mais de manière plus précise, et surtout, confirmer les hypothèses qu'on a pu poser à partir de cette géophysique héliportée. La 1re phase de la campagne a consisté à déployer une centaine de capteurs sur le glissement, de la tête du glissement, jusqu'à son aval. Le géophone, il est composé d'un aimant permanent et d'une bobine très sensible qui permet après de transformer les mouvements du sol en signal électrique qui sera après enregistré. Chacun des capteurs va enregistrer une source de bruit. Grâce à ces enregistrements, on va pouvoir définir la vitesse de propagation des ondes dans ce milieu-là, ce qui va nous permettre d'avoir une cartographie, comme une radio, du sous-sol. Bienvenue à tous dans la 2e partie de cette mission. La 2e phrase de cette campagne consiste à déployer ces mêmes 100 capteurs le long d'un profil, d'une ligne qui va traverser le glissement de terrain de l'amont vers l'aval. L'idée d'avoir un seul et grand profil sur 2 km de long, c'est d'avoir une image en 2D verticale un peu comme une coupe, une tranche de terrain, et on va pouvoir imager le terrain sur des centaines de mètres de profondeur. On va enregistrer les ondes émises par une source active. Cette source active, c'est des explosions. Cet explosif, on va l'introduire dans des forages de 2 m de profondeur pour qu'il soit au contact avec les matériaux du sous-sol, et au moment d'exploser, il génère une onde mécanique qui va provoquer des vibrations du sous-sol, et c'est ces vibrations qu'on va enregistrer le long du dispositif. Chaque explosion va générer deux types d'ondes. Des ondes primaires, qu'on enregistre en premier, qui vont se propager dans le milieu à une certaine vitesse. En 2e lieu, on enregistre un 2e type d'onde, les ondes secondaires. Elles se propagent à une autre vitesse, plus lente. Les ondes primaires vont nous permettre de scanner le sous-sol avec une précision très fine. Pour caractériser la présence d'eau, on va utiliser les ondes secondaires, qui ne se propagent pas dans les milieux saturés en eau. En comparant les modèles de vitesse des zones premières par rapport aux secondaires, on va pouvoir imager les endroits où il y a de l'eau et ceux où il n'y a pas d'eau. Finalement, ce qu'on a pu comprendre de ce glissement, c'est tout d'abord un volume très important. À l'arrière du glissement, on est un peu inférieur à une centaine de mètres, de l'ordre de 50, 75 m. Vers la rivière, c'est là où le glissement est le plus imposant. On a presque 200 m d'épaisseur de glissement. Cette campagne nous a permis de confirmer qu'on avait 2 glissements superposés dans la partie aval, la plus proche de la rivière. Aujourd'hui, on se pose encore des questions du rôle de chacun de ces glissements. On a une base de glissement, un 1er corps de glissement qui va avancer. Un 2e au-dessus qui glisse. On sait qu'on a de l'eau qui va circuler entre ces glissements, dans la partie supérieure. Par contre, la question qu'on va se poser, c'est si on a des différentiels de vitesse. L'enjeu est d'avoir une image fine du glissement de terrain. Ça va nous permettre par la suite de modéliser le glissement. Ça va nous permettre à long terme, de simuler le changement climatique. Si les cyclones sont plus forts, doit-on s'attendre à voir des secteurs qui vont s'accélérer, des secteurs qui sont déstabilisés d'un coup, c'est-à-dire, tout va s'effondrer d'un coup. Une cartographie fine de ce glissement, connaître sa structure interne, connaître les circulations d'eau, ça va directement nous donner une information sur quel est le niveau de risque pour les infrastructures et surtout pour la population de Salazie.

Coupe interprétative du glissement de terrain de Hell-Bourg (cirque de Salazie, La Réunion) élaborée à partir de la combinaison de données multidisciplinaires, de géophysique aéroportée (a.) et de sismique active (b.). (Rault et al. 2021).

Coupe interprétative du glissement de terrain de Hell-Bourg (cirque de Salazie, La Réunion) élaborée à partir de la combinaison de données multidisciplinaires, de géophysique aéroportée (a.) et de sismique active (b.). (Rault et al. 2021).

© BRGM

Les résultats

Grâce au suivi des déplacements par GNSS (Géolocalisation et Navigation par un Système de Satellites) et à l’analyse des données issues de la campagne de géophysique électromagnétique héliportée ReunEM de 2014, d’une campagne de sismique active et passive menée en 2020 et des campagnes de cartographie géomorphologique, la structure interne 3D de trois des plus grands glissements de terrain du cirque (Hell-Bourg, Grand -llet et Ilet à Vidot) a pu être imagée.

Il est désormais connu que ces trois glissements se déplacent en continu et accelèrent suite à des évenements pluvieux intenses. Ils se différencient par leur épaisseur, pouvant parfois dépasser les 200 m, et leur structure, qui peut être plus ou moins compartimentée tant latéralement qu’en profondeur. Ces structures complexes contrôlent directement leur mécanisme de déplacement.

L’utilisation

Les connaissances acquises sur la structure de ces grands glissements peuvent d’ores et déjà être intégrées dans les cartes d’aléas liés au mouvements de terrain et les rendre ainsi plus précises.

Elles permettent également de mieux comprendre l’origine de ces grands glissements de terrain. Leur structure et leur mécanisme sont ainsi en lien direct avec d’anciens processus de démantèlement de l’île volcanique tandis que leur activité est étroitement liée aux conditions pluviométriques extrêmes du cirque de Salazie. Ces résultats apportent des éléments de réflexion quant à l’influence du changement climatique sur l’activité des mouvements de terrain de grande ampleur et sur les risques que de tels changements sont susceptibles d’engendrer.

RenovRisk : un programme de recherche pour étudier les aléas naturels liés aux cyclones tropicaux dans le sud de l’Océan Indien

Le programme de recherche RenovRisk vise à étudier les aléas naturels liés aux cyclones tropicaux dans le sud de l’Océan Indien et à évaluer leurs impacts sur le développement économique de la région.

Le programme de recherche est constitué de 4 projets interdépendants : RenovRisk-Cyclones, RenovRisk-Érosion, RenovRisk-Transports et RenovRisk-Impacts sur lesquelles travaillent des équipes pluridisciplinaires coordonnées par l’Université de la Réunion et le BRGM.

Le Laboratoire Géosciences Réunion (LGSR) et le BRGM ont construit conjointement le projet de recherche RenovRisk-Érosion. Ce projet a pour vocation de poursuivre et perfectionner les suivis des phénomènes gravitaires et érosifs dans les cirques de La Réunion, initiés notamment dans le cadre des projets MvTerre (2003-2008) et MvTerre-2 (2011-2014).

Glissement de terrain, La Réunion

Le BRGM est intervenu à notre demande, en tant qu’expert sur les mouvements de terrain et la prévention des risques. La particularité de ce projet réside dans l’instrumentation conséquente à laquelle les équipes du BRGM ont eu recours pour appréhender ce phénomène atypique via une méthodologie novatrice à vocation applicative. En effet, nous avons désormais une meilleure connaissance de cet aléa et pouvons prendre les mesures appropriées pour la sécurité de la population et la préservation du territoire.

Julien Renzoni, chef de service Prévention des risques naturels et routiers, DEAL de La Réunion

Publications scientifiques

C. Rault, Y. Thiery, M. Chaput, P. A. Reninger, T.J.B. Dewez, L. Michon, K. Samyn and B. Aunay, Landslide processes involved in volcano dismantling from past to present: the remarkable open-air laboratory of the Cirque de Salazie (Reunion Island), JGR- Earth Surface (accepté)

C. Rault, K. Samyn, B. Aunay, A. Bitri and M. Delatre, 2021 New Insights from a Multi-Method geophysical Investigation on a Very Large, Slow-Moving Landslide (Hell Bourg, Reunion Island), First Break, Volume 39, Issue 8, p. 71 – 78.  https://doi.org/10.3997/1365-2397.fb2021063

Belle, P., Aunay, B., Bernardie, S., Grandjean, G., Ladouche, B., Mazué, R., Join, J.-L., 2014. The application of an innovative inverse model for understanding and predicting landslide movements (Salazie cirque landslides, Reunion Island). Landslides 11, 343–355. https://doi.org/10.1007/s10346-013-0393-5

Tulet, P., Aunay, B., Barruol, G., Barthe, C., Belon, R., Bielli, S., Bonnardot, F., Bousquet, O., Cammas, J.-P., Cattiaux, J., Chauvin, F., Fontaine, I., Fontaine, F.R., Gabarrot, F., Garabedian, S., Gonzalez, A., Join, J.-L., Jouvenot, F., Nortes-Martinez, D., Mékiès, D., Mouquet, P., Payen, G., Pennober, G., Pianezze, J., Rault, C., Revillion, C., Rindraharisaona, E.J., Samyn, K., Thompson, C., Vérèmes, H., 2021. ReNovRisk: a multidisciplinary programme to study the cyclonic risks in the South-West Indian Ocean. Natural Hazards. https://doi.org/10.1007/s11069-021-04624-w

Les partenaires

Laboratoire de GéoSciences Réunion, Université de la Réunion

Logos du projet RenovRisk Érosion et de ses partenaires financiers

Projet "RenovRisk Érosion - processus et impact de l'érosion" avec le soutien financier apporté par l'Union Européenne, l'Etat et la Région Réunion.

© RenovRisk Erosion