En 2019, suite à des séismes enregistrés sur l’île de Mayotte depuis des mois, le BRGM a participé à la découverte au large de l’île d’un nouveau volcan sous-marin. L’occasion de mener des modélisations de tsunamis potentiels dans un contexte de volcanisme actif, et d’en cartographier les impacts en termes de submersion.
15 septembre 2021
Surveillance du poste de suivi d’acquisition acoustique lors de la mission à bord du Marion Dufresne qui a permi la découverte du nouveau volcan en mai 2019.

Surveillance du poste de suivi d’acquisition acoustique lors de la mission à bord du Marion Dufresne qui a permi la découverte du nouveau volcan en mai 2019.

© BRGM - I. Thinon

C’est le plus gros volcan naissant observé depuis 1783 ! Le 10 mai 2018, Mayotte, dans l’océan Indien, est soudainement le siège d’un phénomène tellurique spectaculaire. Pendant des mois, des séismes à répétition frappent l’île. À l’été, des déplacements très importants sont enregistrés à terre. Le BRGM, le CNRS, l’ENS, l’Ifremer, l’IGN et l’IPGP lancent alors des travaux pour mieux comprendre le phénomène, aussi bien à terre qu’en mer avec une mission d’observation du fond marin et de la colonne d’eau. Résultat : en mai 2019 les chercheurs français découvrent un nouveau volcan. On parle alors d’éruption effusive, toujours active en 2021, source de séismes et de coulées régulièrement cartographiées. La surveillance du phénomène est alors organisée autour du REVOSIMA, le réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte.

Situé à 50 kilomètres des terres, à quelque 3 500 mètres de profondeur, le volcan est un mastodonte sous-marin haut de 800 mètres sur quatre kilomètres de diamètre. L’île, quant à elle, qui fait seulement 376 km2 a glissé vers l’est jusqu’à 25 cm et s’est enfoncée jusqu’à 19 cm par un phénomène remarquable de vidange d’une grande chambre magmatique profonde (environ 6,5 km3 de lave ont été éruptés). Le volcan, appelé par des Mahorais « Le monstre imaginaire » (Bagug) ou « Le roi des mers » (Mfaloumle Wa Bahari), bien qu’encore non officiellement baptisé, pourrait présenter une menace pour l’île. 

La DGPR, Direction générale de la prévention des risques du ministère de la Transition écologique, a alors chargé le BRGM d’une étude pour estimer les impacts de tsunamis potentiels sur l’île.

Modélisation d’un scénario de tsunami à Mayotte en cours de propagation.

Modélisation d’un scénario de tsunami à Mayotte en cours de propagation : la couleur est liée à l’amplitude de la surélévation du plan d’eau et les flèches noires représentent la vitesse de l’eau en certains points peu profonds.

© BRGM

Mieux estimer l’aléa tsunami

Il s’agissait de réaliser, à partir de modélisations numériques de tsunamis, une cartographie prédictive des submersions pour mieux estimer l’aléa associé. Le projet est terminé ; il s’inscrit dans le cadre des actions mises en place en juin 2019 par quatre ministères avec la communauté scientifique autour de la surveillance du phénomène volcanique : comment mieux caractériser et affiner les sources, améliorer et cartographier les estimations d’impact.

Les équipes de chercheurs se sont concertées pour caractériser trois types d’événements pouvant être à l’origine de tsunamis au voisinage de Mayotte : séisme, glissement sous-marin et effondrement de réservoir magmatique et des flancs du volcan sous-marin. 

Le BRGM a pu ainsi modéliser 60 scénarios, de la génération et la propagation des vagues de tsunami à la submersion de la côte. Les chercheurs ont évalué le rôle protecteur du récif et de la mangrove, l’ordre de grandeur et le temps d’arrivée des vagues. Les scénarios les plus impactants pour les côtes de Mayotte ont été identifiés : certains comportent de fortes incertitudes, liées à une mauvaise connaissance des structures géologiques et du système magmatique. Les modèles établis devront être précisés au fil du temps pour l’estimation de l’aléa. 

L’objectif final de ce projet était de réaliser un outil d’aide à la décision en cas de tsunami, et de cibler des actions de recherche à mener pour améliorer les modélisations d’impact de tsunamis, travaux menés en collaboration avec l’IPGP. Les résultats ont aussi été utiles pour une cartographie des voies d’évacuation et pour documenter des projets d’aménagement du territoire comme l’allongement de l’aéroport.

Surveillance du poste de suivi d’acquisition acoustique lors de la mission à bord du Marion Dufresne qui a permi la découverte du nouveau volcan en mai 2019.

Surveillance du poste de suivi d’acquisition acoustique lors de la mission à bord du Marion Dufresne qui a permi la découverte du nouveau volcan en mai 2019.

© BRGM - I. Thinon

Un exemple emblématique de recherche collaborative

Mais sur le plan fondamental, ces travaux ont aussi fait progresser les interactions entre équipes scientifiques et l’état des connaissances des disciplines concernées, si l’on veut être demain plus efficace dans l’anticipation. Le domaine est en effet d’une extraordinaire complexité, et l’on a pu constater que les logiciels de modélisations et les données géologiques disponibles se révèlent insuffisants. Il faut donc développer des outils de simulation à même de prendre en compte à la fois les différents cas de sources tsunamigènes, et des conditions de terrain elles-mêmes très complexes pour la propagation des ondes et la submersion associée.

Par ailleurs, dans un contexte de protection civile et d’aménagement du territoire, les modélisations ne doivent pas se restreindre au tsunami et à la submersion associée : elles devront aussi nécessairement intégrer des effets sur les bâtiments ou les infrastructures. Ce qui veut dire aller jusqu’à la modélisation du risque. 

Le travail en équipe a joué dans ce projet un rôle majeur. La problématique est vraiment pluridisciplinaire : modélisation numérique, infrastructures de calcul, submersion marine, modèles hydrodynamiques, mouvements de terrain, océanographie, volcanologie, sismologie, communication, géomatique… Un projet aussi abordé sous différents angles, opérationnel, exploratoire, recherche et impliquant plusieurs établissements et ministères.

En résumé, un véritable champ d’expérimentation pour fédérer une communauté pluridisciplinaire et pluri-institut autour d’une problématique complexe. Et un exemple emblématique de recherche collaborative et ouverte. Sachant que l’événement de Mayotte s’est aussi révélé être un bon cas d’école : les travaux menés par le BRGM et ses collaborateurs pourraient être appliqués à d’autres territoires.

Cartographie prédictive des submersions liées à un tsunami à Mayotte

Les avancées scientifiques du BRGM en 2020 : cartographie prédictive des submersions liées à un tsunami à Mayotte.

Avancées présentées dans le cadre du programme scientifique "Risques naturels et résilience des territoires".

© BRGM

Bonjour, Anne Lemoine, vous êtes sismologue, chercheuse à la Direction des risques et prévention. Et vous faites partie des spécialistes qui travaillent sur le risque sismique de Mayotte. Que s'y passe-t-il, à Mayotte ?

-Merci. Alors, depuis le mois de mai 2018, Mayotte est le siège d'un phénomène exceptionnel... au niveau géologique. Ça a commencé par des séismes très importants pour la zone qui n'était pas habituée à subir une telle sismicité. Il y a eu divers phénomènes observés. Ça a abouti à la découverte d'un nouveau volcan qui est le plus gros volcan effusif observé depuis 1783. Donc, c'est un bel édifice. Et donc, il se trouve que le BRGM était le seul institut à avoir des stations sismiques sur l'île, sur place. et à avoir une direction régionale aussi. Donc, le temps que la communauté, l'État s'organise pour mettre en place ce qu'on appelle le REVOSIMA, le réseau de surveillance dédié, c'est le BRGM qui a été chargé de suivre ces phénomènes au départ. Une vraie fierté, d'ailleurs. Et donc, j'imagine qu'au regard de ce que vous avez découvert, la question des risques s'est posée. Pouvez-vous nous en parler ?

-Oui, la question des risques s'est posée tout de suite, effectivement. D'autant plus que, comme vient d'en parler Gilles, au BRGM, on est sensibles à un certain nombre de ces sujets, risques sismiques, tsunamis, etc. Et, en fait, dès le départ du phénomène, on s'est posé des questions par rapport à de potentiels impacts. Après, je vais plus spécifiquement parler des tsunamis. En tant que sismologue, je faisais partie de l'équipe qui suivait la séquence sismique, au départ, du phénomène. Et je fais aussi partie de l'équipe de tsunami du BRGM. Et, dans cette équipe, il y avait un collègue, Rodrigo Pedreros, qui avait travaillé auparavant sur une étude... d'estimation de la submersion liée à des cyclones. Donc, il connaissait le territoire, ainsi que les données nécessaires à une bonne prise en compte des spécificités pour bien simuler la submersion liée aux cyclones. Donc, assez rapidement, dès mars 2019, il y a des modèles préliminaires de tsunamis qui ont été construits. Et après la découverte du nouveau volcan, en mai 2019, le ministère de l'Environnement a chargé le BRGM d'une étude exploratoire d'évaluation d'impact tsunami à travers des modélisations de 3 types de sources de tsunamis, source sismique, source via des glissements sous-marins et source liée à de potentiels effondrements de réservoirs magmatiques. Et quels résultats vous avez pu avoir grâce à cette étude ?

-En fait, lors de ce travail exploratoire, on a proposé une soixantaine de scénarios différents. Et pour chacun de ces scénarios, on a construit des modèles de tsunamis. Alors, sur l'écran, on voit un petit film qui représente la propagation du tsunami au voisinage de Mayotte. Là, on est sur un scénario. C'est un modèle numérique. Donc, on a imaginé une source de tsunamis qui se trouve être un glissement à l'est de Mayotte. Un glissement plutôt important. On a "maximinisé" les hypothèses pour, on va dire, rester conservatif. Donc, là, les couleurs représentent l'amplitude des vagues. Les petites flèches représentent les vitesses de l'eau. Et ce qu'on peut voir sur cette vidéo, par exemple, c'est que le récif est souligné par la propagation du tsunami, parce que le tsunami, en arrivant sur le récif qui borde le lagon, dissipe une partie de son énergie. Donc, on voit avec ce genre de film la manière dont peut se comporter un tsunami. Et donc, on a décliné les 60 scénarios. Et puis, pour les scénarios les plus impactants, des simulations plus haute résolution ont été menées afin d'estimer de manière la plus réaliste possible la submersion potentiellement associée. Donc, en fait, Mayotte, c'est un territoire particulièrement difficile pour modéliser des tsunamis. En fait, élaborer des modèles de tsunamis comme ceux qu'il faudrait faire dans l'idéal ça représente un certain nombre de challenges, techniquement parlant. D'une part, on est dans le cadre d'un phénomène qui est actif, avec des sources tsunamigènes...

-Ça bouge tout le temps. Ça bouge et il y a des sources qui sont proches de l'île. Donc, il ne faut pas qu'on rate une hypothèse, quelque part. Et puis, techniquement, en termes de modèle hydrodynamique, on est contraint par l'utilisation de certaines règles. Les sources étant proches, on doit aller vers certains outils de modélisation qui sont très spécifiques et très pointus. D'autres spécificités comme le fait que les dimensions des sources tsunamigènes sont plutôt petites au regard de l'épaisseur de l'eau au-dessus des sources nous obligent à utiliser des modèles assez pointus et à élaborer des modélisations numériques assez complexes. Et, en parallèle de ce projet exploratoire, des projets de recherche ont été menés. Notamment dans le cadre de collaborations avec des collègues de l'Institut de Physique du Globe de Paris. Donc, à travers la thèse, notamment, de Pablo Poulain. Une thèse qui est codirigée par notamment Gilles et des collègues de l'Institut de Physique du Globe de Paris. Donc, on a intégré un nouveau niveau de complexité. Et ce niveau de complexité est représenté ici sur cette vidéo. L'image en haut à gauche représente une image de la source. En rouge, c'est la zone de la pente qui va être déstabilisée, c'est-à-dire qui va...

-Se décrocher. Et, sur la vidéo, on voit en ombre au fond de l'eau... le déroulement de cette déstabilisation des sédiments le long de la pente. Et, en parallèle... Le fait que les sédiments glissent le long de la pente, ça va déstabiliser la colonne d'eau, ça va générer un tsunami. Et le tsunami va se propager dans le bassin. Et, ce que l'on voit sur cette vidéo, c'est que, dans cette hypothèse, qui intègre la dynamique, c'est-à-dire l'histoire de l'écoulement du glissement, le glissement n'a pas terminé de descendre que les 1res vagues arrivent déjà à la côte. Donc, la dynamique du phénomène est très complexe et nécessite numériquement d'avoir les outils tout à fait adaptés.

-Oui...

-Au risque de mal évaluer l'impact. Et du coup, d'avoir une mauvaise prédiction. Justement, ces outils sont-ils complètement au point ? Alors, les outils... Pour mener à bien cette simulation, il y a de 1ers développements qui ont été établis, c'est-à-dire que des codes ont été couplés, des codes de modèles. Notamment un modèle qui travaillait sur la manière dont le glissement dévalait les pentes qui a été couplé avec un code qui travaillait sur la manière dont le tsunami se propageait dans ce bassin très spécifique, avec un récif sur lequel les vagues peuvent déferler. Des spécificités même au niveau des côtes, très particulières. Et, pour aller au-delà, en fait, ce qu'il faudrait, c'est avoir un effet plus intégrateur, avoir des codes qui soient aussi bien satisfaisants au niveau d'une génération de sources complexes et qui puissent répondre aux spécificités du terrain en termes de codes hydrodynamiques. Et donc, en parallèle de ces travaux... Tous les travaux qu'on a menés jusqu'à présent nous ont permis... C'est comme un cas d'école. Ça nous a permis de cibler les efforts et de savoir développer ou développer...

-Oui.

-Les outils. Et, au sein des équipes du BRGM qui travaillent sur ce genre de modèle, des collaborations ont été menées aussi avec l'Inria, notamment par le développement d'un code, UHAINA, qui va pouvoir nous permettre, grâce à une spécificité très intéressante, on appelle ça un maillage non structuré, alors, il a plein d'autres qualités ce code, mais, ce qui est très intéressant par rapport à ça, c'est que ça nous permet, là où on a des données fines, ou là où on a un enjeu particulier, où on veut faire des simulations très fines, ou là, par exemple, d'affiner la résolution au niveau de la source, parce qu'on a une source très difficile à simuler avec des données complexes. Donc, on peut avoir... affiner nos modèles en fonction des sites sur lesquels on doit porter notre intérêt. Et donc, par ailleurs, à Mayotte, une autre caractéristique de cette île qui subit un phénomène actif, c'est que c'est une île qui est très mal connue géologiquement parlant. Mais, ces dernières années, ces derniers mois, il y a eu un grand nombre de campagnes d'acquisition, de campagnes en mer, de campagnes à terre, qui permettent de mieux connaître le terrain, les matériaux, les structures actives. Donc, l'étape suivante, c'est de continuer le développement des outils adaptés à une meilleure prise en compte... à une meilleure simulation haute résolution des effets d'un tsunami et de la submersion en particulier. Et puis, intégrer la meilleure connaissance qu'on a des objets géologiques et des structures actives pour avoir des sources réalistes et modélisées de manière réaliste. Un dernier aspect, c'est qu'il faut qu'on aille au-delà de la modélisation du phénomène et qu'on intègre les modèles... qu'on intègre l'aspect dommages dans nos modèles, dommages sur les infrastructures et les bâtiments. Ça, c'est...

-Protection de la population aussi, bien évidemment. Mais on voit qu'il y a déjà de belles évolutions. Quand on voit vos modélisations, on imagine ce que ça peut donner par la suite quand tout ça sera encore plus développé avec la précision que ça pourra apporter. Ce qui est intéressant dans ce sujet aussi, c'est que c'est un... Le sujet dont on parle, c'est très intégrateur dans le sens où c'est un sujet qui est très pluridisciplinaire. Et, dans le cas de Mayotte, comme l'a dit Gilles tout à l'heure, c'est un sujet qui a mobilisé de nombreuses spécialités, de nombreux instituts et toute une équipe de chercheurs avec des casquettes très différentes.

-La transversalité.

-Oui.

-Merci beaucoup.

-Merci.

-Merci à tous les 2.