En 2022, et de façon plus hétérogène en 2023, les nappes d’eau souterraine de la France ont été touchées par la sécheresse.
Si l'hiver 2023-2024, puis le soutien par des pluies printanières abondantes en 2024, a permis de recharger efficacement la plupart des nappes, le suivi de l’état des nappes d'eau souterraine reste crucial pour anticiper les futurs épisodes de sécheresse et mieux gérer la ressource.
D'autant plus que dans un contexte de changement climatique, la variabilité climatique (événements extrêmes plus fréquents et intenses) est amenée à s’accentuer dans le futur.
Nos experts hydrogéologues se sont penchés sur le sous-sol de quatre régions emblématique, et sur l'eau qu'il contient.
Pourquoi la Bretagne, région réputée humide, est-elle vulnérable à la sécheresse ?
En 2022, la Bretagne a connu une période de sécheresse exceptionnelle par sa durée et son intensité, avec des débits de cours d’eau et des niveaux de nappes historiquement faibles.
Malgré sa réputation de région humide, ces événements historiquement rares semblent devenir de plus en plus fréquents. Pourquoi, dans une région où il pleut régulièrement, ce risque d’épuisement constitue-t-il désormais une menace ? Le changement climatique est certes en cause, mais cela tient aussi aux spécificités hydrogéologiques du sous-sol breton.
Le contexte hydrogéologique breton
La Bretagne est parcourue par 30 000 km de cours d’eau connectés à des nappes souterraines qui sont présentes partout sur le territoire. Le développement économique et démographique de la région est notamment conditionné par l’accès aux ressources naturelles du territoire, en particulier les ressources en eau, qui doivent être gérées de façon durable.
Celles-ci sont utilisées pour des usages variés : eau potable, usages agricoles ou industriels. Mais les besoins ont tendance à augmenter ces dernières années, en lien avec la pression démographique exacerbée par le tourisme estival ou l’intensification des usages agricoles.
L’eau potable provient en Bretagne essentiellement des ressources superficielles (fleuves, rivières, barrages, etc.). 75% de l’eau y est prélevée, contre seulement 25% dans les eaux souterraines. Au niveau national, ce rapport est inversé : seulement 36% de l’eau provient de la surface, contre 64% pour l’eau souterraine.
Les eaux souterraines, même si elles ne représentent qu’une part minoritaire des prélèvements, constituent une ressource cruciale. Il existe pour les capter près de 30 000 points (forages, puits, sources et drains) pour des usages variés, essentiellement agricoles.
La pluie bretonne ne recharge pas toujours les nappes phréatiques
Seule une partie des pluies est réinjectée dans le cycle de l’eau. On parle de précipitations "efficaces" qui, non reprises par l’évapotranspiration (au niveau du sol et des végétaux), ruissèlent à la surface du sol et s’infiltrent jusqu’aux nappes phréatiques.
Les nappes phréatiques bretonnes sont dites "réactives" : elles sont très sensibles à la quantité d’eau infiltrée, c’est-à-dire au volume de pluies efficaces. Elles s’opposent aux nappes dites "inertielles" que l’on retrouve dans d’autres régions, qui ont un cycle d’évolution pluriannuel.
Quand la géologie régule le cycle de l’eau
Pour comprendre cette différence, il faut s’intéresser à la géologie des aquifères bretons. En Bretagne, il n’existe pas de grands aquifères, mais une mosaïque de petits systèmes imbriqués. Il s’agit principalement d’aquifères dits "de socle", abrités dans des roches dures anciennes (granite, schistes, grès, gneiss, micaschistes…). Dans un aquifère de socle, l’eau est stockée dans la roche grâce à sa porosité, et circule surtout grâce au réseau de fissures de fractures dans celle-ci. La vitesse de circulation de l’eau dépend de la nature de la roche.
Les écoulements y sont beaucoup plus lents que dans une rivière, mais une large partie du stock se vide chaque année pour alimenter les cours d’eau en surface. Plus qu’un stock, il s’agit d’un volume en transition lente qui permet aux milieux naturels de passer l’été. Les niveaux des nappes, à la fin de l’hiver, informent sur le futur état des rivières sur les deux à cinq mois à venir.
Passer d’une gestion réactive à une gestion préventive
Le contexte géologique breton entraine donc une gestion de l’eau extrêmement réactive. Exposés au risque de sécheresses consécutives, la plupart des grands aquifères français peuvent fournir de l’eau sur plusieurs années au risque d’une baisse très importante des niveaux et d’une détérioration des ressources sur le long terme. A l’inverse, en Bretagne, les ressources de l’été dépendent de la pluviométrie de l’hiver qui précède.
La nappe de Beauce, un immense réservoir d’eau confronté à la sécheresse et à la pollution
La nappe de Beauce, située au sud-ouest de Paris, constitue l’un des plus grands réservoirs d’eau souterraine en France : elle alimente la Beauce, l’une des principales régions productrices de céréales en Europe.
Cette nappe hors norme s’étend sur plusieurs départements et deux régions, le Centre-Val de Loire et l’Ile-de-France, soit une surface d’environ 14 000 km2, pour une capacité de stockage estimée à 20 milliards de mètres cubes par an, soit dix-huit fois le volume du lac d’Annecy.
L’immense réservoir d’eau souterraine que constitue la nappe de Beauce garantit les besoins en eau pour la production d’eau potable, l’irrigation, l’industrie et l’alimentation des cours d’eau. Cette ressource fait cependant face à un double risque de sécheresse et de pollution.
Une ressource abondante mais vulnérable
La nappe de Beauce, dans sa partie libre (on appelle ainsi les nappes dont le niveau supérieur, à pression atmosphérique, peut varier, car il n’est pas en contact avec une limite imperméable) est très vulnérable aux pollutions d’origine humaine, notamment aux nitrates et produits phytosanitaires utilisés pour l’agriculture. La nappe est libre sur sa quasi-totalité, sauf sous la Forêt d’Orléans et en Sologne. La préservation de la qualité de la nappe de Beauce est donc un enjeu majeur pour ce territoire. Plusieurs projets de recherche sont menés pour améliorer la connaissance du fonctionnement de la nappe et le transfert des polluants.
Cet aspect qualitatif ne saurait éluder l’enjeu quantitatif. Le réseau de suivi de la nappe des calcaires de Beauce compte une cinquantaine de puits et de forages, appelés piézomètres, suivis depuis le début des années 1970 et gérés par le BRGM. Lors de sécheresses hivernales successives, notamment durant les périodes 1896-1906 et 1988-1993, les pluies hivernales ont été insuffisantes pour recharger la nappe. Le niveau de la nappe de Beauce a connu des niveaux très bas qui ont entraîné l’assèchement de petits cours d’eau et de puits peu profonds et qui ont rendu les pompages en forage plus difficiles.
La baie du Mont-Saint-Michel face au risque de sécheresse à la fin du siècle
En Normandie, les sécheresses estivales des étés 2003, 2005 et plus récemment 2022 ont entraîné des tensions sur les usages de l’eau - dont la production d’eau potable - dans l’Ouest de la Normandie, qui dépend directement du niveau des eaux de rivières pour son approvisionnement en eau potable.
L’Est de la Normandie aussi a été touché, quoique la mécanique soit différente : c’est la succession d’épisodes de sécheresse hivernales qui a conduit à une moindre disponibilité des ressources en eau souterraine pour soutenir les débits des cours d’eau en 2017, 2019 et 2023.
La Normandie coupée en deux
Il faut dire qu’au plan géologique et hydrogéologique, le territoire de la région est contrasté, et même divisé en deux :
- le sous-sol de la partie Est est constitué de roches sédimentaires essentiellement calcaires appartenant au bassin Parisien. Ces terrains ont tendance à laisser s’infiltrer l’eau de pluie dans le sous-sol ;
- la partie ouest est constituée de formations géologiques anciennes (appelées socle), qui correspondent au rebord nord-est du Massif armoricain (Bretagne). Ces terrains, moins perméables, ont plutôt tendance à laisser l’eau de pluie ruisseler à la surface du sol. Il en résulte un réseau de rivières très dense.
Il en découle une conséquence importante pour l’ouest de la région : les pluies importantes de l’hiver s’infiltrent peu et ruissellent facilement vers les rivières, ce qui peut provoquer des crues importantes.
L’eau stockée dans le sous-sol est moins abondante et se vidange plus rapidement. En conséquence, les rivières qui s’écoulent sur ces roches de socle ne bénéficient que d’un faible soutien des eaux souterraines pendant les périodes estivales : en l’absence de pluie, leurs débits peuvent devenir très faibles en été. Ces caractéristiques rendent les rivières de l’Ouest de la Normandie plus vulnérables aux sécheresses estivales.
La baie du Mont-Saint-Michel en 2100
En Normandie comme ailleurs en France, le BRGM réalise pour les besoins des collectivités et des services de l’État des études d’impact du changement climatique sur les ressources en eau, à l’aide de modèles hydrogéologiques numériques.
Dans le nord-ouest de l’Europe, les modèles climatiques prévoient une augmentation des températures et une répartition saisonnière des précipitations bien plus contrastée qu’aujourd’hui, avec des hivers plus pluvieux et des étés plus secs. Dans le sud de l’Europe, les modèles climatiques convergent vers un futur globalement plus chaud et plus sec. Dans ce contexte, la Normandie se trouve dans une situation "intermédiaire" entre le Nord et le Sud.
Dans la baie du Mont-Saint-Michel, cinq modèles climatiques différents ont été utilisés pour réaliser une étude d’impact du changement climatique. Dans le scénario de réchauffement le plus pessimiste, les modèles ont tous convergé vers un futur plus chaud (températures moyennes annuelles en augmentation de 3,1 à 3,6°C en moyenne), avec davantage de pertes en eau liées à l’évapotranspiration, et des contrastes saisonniers plus importants (hivers plus humides et été plus secs). Les précipitations annuelles seraient en augmentation de 4,3 à 9% selon les secteurs.
Provence-Alpes-Côte d’Azur : changement climatique et pénuries d’eau, les défis qui attendent la région
Et si le scénario de 2022 se répétait ? Dans les Bouches-du-Rhône, plusieurs dizaines de communes étaient placées en alerte renforcée sécheresse - et donc soumises à des restrictions d’eau - à la fin juillet 2024.
La région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) est particulièrement vulnérable au risque de sécheresse, du fait du climat méditerranéen qui y règne, mais aussi d'une répartition inégale de la ressource en eau sur le territoire. Celle-ci peut conduire à une dépendance aux aménagements hydrauliques réalisés pour transférer l’eau abondante des zones alpines vers les zones plus déficitaires et densément peuplées du littoral.
Le grand barrage de Serre-Ponçon, par exemple, conçu à l’origine comme un ouvrage destiné à la production d’hydro-électricité, joue un rôle de réservoir et de régulateur. Il permet de soutenir le manque d’eau pendant la période estivale, par un relargage progressif des réserves constituées en fonction des besoins du territoire.
Des eaux souterraines encore peu exploitées
Outre les eaux de surface, 14 % des prélèvements pour l’alimentation en eau, tous usages confondus, proviennent des nappes d’eau souterraine. Pour l'eau potable, cette part se monte à 50 %. Les eaux souterraines représentent donc un enjeu crucial pour l’avenir : les débits des eaux de surface risquent de diminuer dans les décennies à venir sous l’effet du changement climatique.
Le changement climatique en Méditerranée
La disponibilité de la ressource en eau souterraine dépend des cycles hydroclimatiques, très contrastés en région méditerranéenne. Sur la façade maritime, un changement semble d'ores et déjà s'esquisser, avec une augmentation notable ces dernières années des températures moyennes et des vagues de chaleur prolongées pendant l’été.
La fréquence d’autres événements météorologiques extrêmes, comme les fortes pluies, augmente également. A l'inverse, les périodes prolongées sans pluie peuvent provoquer des sécheresses importantes, comme celle de 2022, d'autant plus lorsqu'elles interviennent après des automnes avec faible pluviométrie et des hivers secs.
Le changement climatique pourrait également entraîner à terme une salinisation des aquifères côtiers dans les secteurs les plus densément peuplés sur la frange littorale. En effet, avec la remontée du niveau marin, l’interface entre eau douce et eau salée dans le sous-sol sera amenée à se déplacer vers l’intérieur des terres. Cela va accentuer la vulnérabilité des captages d’alimentation en bord de mer, mais également dans les plaines (souvent agricoles) et dans les zones humides de basse altitude, en Camargue notamment.
L’urgence à préserver l’eau en PACA
Selon l’Agence de l’Eau, 40% des territoires du bassin Rhône-Méditerranée seraient en tension car les besoins actuels et les prélèvements dépassent la capacité des ressources disponibles. Un enjeu important pour la région PACA, par ailleurs soumise à de fortes pressions démographiques liées notamment au tourisme.