Le glissement de terrain de Salazie est l'un des plus grands glissements de terrain habités dans le monde. A la Réunion, le BRGM surveille ce glissement depuis 20 ans.
30 mai 2022

Comprendre la structure d’un glissement de terrain avec la géophysique - Projet RenovRisk Erosion

Comprendre la structure interne d’un glissement de terrain avec la géophysique : c'est l'objectif du travail mené par les équipes du BRGM et ses partenaires à La Réunion, dans le cadre du projet RenovRisk Érosion.

© BRGM

Nous sommes dans le cirque de Salazie. Ça s'est créé par un phénomène d'érosion intense à la suite de pluies cycloniques. On a eu du creusement, et finalement, tous ces matériaux se sont évacués vers la sortie du cirque. Par rapport aux 2 autres cirques de la région, la particularité de Salazie, c'est la présence d'immenses glissements de terrain. On dénombre une dizaine de glissements de grande ampleur. On en a deux qui sont particulièrement impressionnants. Ils font des volumes de 250 millions de m3. Une des caractéristique de Salazie, c'est la forte pluviométrie. Il pleut à peu près 3 m d'eau par an. C'est cette particularité entre la pluviométrie qui est assez forte et la géologie particulière qui va expliquer la présence des glissements de terrain ici. La problématique, ce sont les habitations sur ces terrains qui se déplacent. Les habitations sont positionnées sur des terrains qui avancent de manière continue, ce qui va engendrer des fissures qui vont engendrer des risques pour la population ou des risques pour les infrastructures. Pendant le cyclone Hyacinthe, la mare, elle est partie. On a eu un épisode de... 15 jours de fortes pluies. Et ça a déchiré depuis la mare, jusqu'à toute la route que vous voyez, qu'on a dû refaire. Il y avait un belvédère, là-haut ? Oui, il y avait un belvédère qu'on retrouve sur des anciennes cartes postales. Après Hyacinthe, le belvédère est parti. Il a atterri en bas de la falaise parce qu'il y a eu un éboulement. Il y a eu certainement des mouvements de terrain, et avec l'eau, tout est parti. Vous voyez encore des fissures s'ouvrir ? - Oui. - Quand il pleut ? Voilà, quand il pleut, après des épisodes de fortes pluies, on a des failles qui apparaissent. Ce qu'on a pu voir avec les suivis GPS qu'on a mis en œuvre depuis environ 20 ans, c'est des phénomènes d'accélération suite aux précipitations. Concrètement, quand il pleut fort, l'eau va s'infiltrer dans le sous-sol, on le suppose, et cette eau, moteur des glissements de terrain, va permettre l'accélération des terrains. Ici, ce qui va nous intéresser, c'est de savoir comment circule l'eau, où est-ce qu'elle s'infiltre. Suit-elle des discontinuités ? S'infiltre-t-elle à la base du glissement de terrain ? À un niveau intermédiaire ? Finalement, ça, c'est important dans la compréhension du mécanisme. Si elle est juste en superficie, le niveau de risque n'est pas le même que si elle s'infiltre et va en profondeur du glissement. Nous avons déjà une image de la structure interne du glissement suite à une campagne de géophysique héliportée. Il s'agissait de faire une sorte de scan 3D des terrains jusqu'à une profondeur de 300 m. L'idée serait de venir confirmer l'hypothèse qu'on ait 2 surfaces de glissement de terrain superposées et de pouvoir voir s'ils se déplacent à des vitesses différentes. Là, on a un premier aperçu du glissement de terrain dans son ensemble. On souhaite zoomer sur différents secteurs et identifier si on a une présence d'eau, si on a différents compartiments et caractériser l'ensemble du glissement, mais de manière plus précise, et surtout, confirmer les hypothèses qu'on a pu poser à partir de cette géophysique héliportée. La 1re phase de la campagne a consisté à déployer une centaine de capteurs sur le glissement, de la tête du glissement, jusqu'à son aval. Le géophone, il est composé d'un aimant permanent et d'une bobine très sensible qui permet après de transformer les mouvements du sol en signal électrique qui sera après enregistré. Chacun des capteurs va enregistrer une source de bruit. Grâce à ces enregistrements, on va pouvoir définir la vitesse de propagation des ondes dans ce milieu-là, ce qui va nous permettre d'avoir une cartographie, comme une radio, du sous-sol. Bienvenue à tous dans la 2e partie de cette mission. La 2e phrase de cette campagne consiste à déployer ces mêmes 100 capteurs le long d'un profil, d'une ligne qui va traverser le glissement de terrain de l'amont vers l'aval. L'idée d'avoir un seul et grand profil sur 2 km de long, c'est d'avoir une image en 2D verticale un peu comme une coupe, une tranche de terrain, et on va pouvoir imager le terrain sur des centaines de mètres de profondeur. On va enregistrer les ondes émises par une source active. Cette source active, c'est des explosions. Cet explosif, on va l'introduire dans des forages de 2 m de profondeur pour qu'il soit au contact avec les matériaux du sous-sol, et au moment d'exploser, il génère une onde mécanique qui va provoquer des vibrations du sous-sol, et c'est ces vibrations qu'on va enregistrer le long du dispositif. Chaque explosion va générer deux types d'ondes. Des ondes primaires, qu'on enregistre en premier, qui vont se propager dans le milieu à une certaine vitesse. En 2e lieu, on enregistre un 2e type d'onde, les ondes secondaires. Elles se propagent à une autre vitesse, plus lente. Les ondes primaires vont nous permettre de scanner le sous-sol avec une précision très fine. Pour caractériser la présence d'eau, on va utiliser les ondes secondaires, qui ne se propagent pas dans les milieux saturés en eau. En comparant les modèles de vitesse des zones premières par rapport aux secondaires, on va pouvoir imager les endroits où il y a de l'eau et ceux où il n'y a pas d'eau. Finalement, ce qu'on a pu comprendre de ce glissement, c'est tout d'abord un volume très important. À l'arrière du glissement, on est un peu inférieur à une centaine de mètres, de l'ordre de 50, 75 m. Vers la rivière, c'est là où le glissement est le plus imposant. On a presque 200 m d'épaisseur de glissement. Cette campagne nous a permis de confirmer qu'on avait 2 glissements superposés dans la partie aval, la plus proche de la rivière. Aujourd'hui, on se pose encore des questions du rôle de chacun de ces glissements. On a une base de glissement, un 1er corps de glissement qui va avancer. Un 2e au-dessus qui glisse. On sait qu'on a de l'eau qui va circuler entre ces glissements, dans la partie supérieure. Par contre, la question qu'on va se poser, c'est si on a des différentiels de vitesse. L'enjeu est d'avoir une image fine du glissement de terrain. Ça va nous permettre par la suite de modéliser le glissement. Ça va nous permettre à long terme, de simuler le changement climatique. Si les cyclones sont plus forts, doit-on s'attendre à voir des secteurs qui vont s'accélérer, des secteurs qui sont déstabilisés d'un coup, c'est-à-dire, tout va s'effondrer d'un coup. Une cartographie fine de ce glissement, connaître sa structure interne, connaître les circulations d'eau, ça va directement nous donner une information sur quel est le niveau de risque pour les infrastructures et surtout pour la population de Salazie.

Les glissements de terrain de grande ampleur à Salazie, La Réunion

Dans le cadre du projet MvTerre 2 sur les mouvements de terrain de grande ampleur à La Réunion, le BRGM et ses partenaires présentent un film pour mieux comprendre le fonctionnement des glissements de terrain, et informer les populations des risques potentiels. 

© BRGM 

-Il y a 5 millions d'années, La Réunion naissait au milieu de l'océan Indien à partir d'un volcan sous-marin. Il y a 100 000 ans, l'île était à peu près ce qu'elle est aujourd'hui, avec le piton des Neiges, le point culminant. Pendant la construction du piton des Neiges, des glissements de terrain gigantesques associés à l'action de l'érosion vont donner naissance aux 3 cirques, Cilaos, Mafate et Salazie. Les formations géologiques créées au cours du creusement des cirques subissent à nouveau des glissements de terrain avec, parfois, de lourdes conséquences. Dans certains endroits de l'île, ils sont particulièrement visibles. Le BRGM, Bureau de recherches géologiques et minières, c'est l'établissement public de référence dans les applications des sciences de la Terre pour gérer les ressources et les risques du sol et du sous-sol. Vous allez découvrir que les scientifiques du BRGM étudient depuis de nombreuses années ces glissements de terrain afin d'évaluer les risques pour les populations. Mais pour bien comprendre ce qui se passe, retrouvons sur place Katiana. 

-En effet, je suis dans le cirque de Salazie, juste en dessous d'Hell-Bourg. Ici, on voit très nettement ce qu'est un glissement de terrain. Le terrain situé à 150 m en contrebas était au même niveau que moi il y a plusieurs siècles. Il a glissé vers le bas et vers l'arrière du Mât, juste derrière les champs de cannes. Et ça continue encore aujourd'hui. Un peu plus loin, le terrain s'est plissé, ce qui correspond aux petites collines que l'on voit là-bas. Le problème, c'est qu'à certains endroits, sur ces glissements, il y a des centaines d'habitants. 

-En effet, Katiana, le terrain continue d'avancer plus ou moins vite en fonction des secteurs. Par exemple, le cirque de Salazie est l'un des plus surveillés par le BRGM en raison du grand nombre de zones instables répertoriées. A Grand-Îlet, par exemple, les habitants connaissent bien les effets de ce gigantesque glissement de terrain. 

-M. Nourry, bonjour. Comment ça va ? 

-Ça va, merci. 

-Alors, la voix, tu peux nous expliquer ce qu'il se passe avec la maison de M. Nourry et les autres maisons de Grand-Îlet ? 

-Le phénomène qui touche cette partie de Grand-Îlet, c'est un glissement de terrain. L'un des plus grands glissements jamais enregistré dans le monde. C'est tout le secteur qui avance et descend lentement, à des vitesses différentes, en fonction du terrain. Regardez. Ce qui est immobile, c'est le rempart à gauche et les très anciennes coulées de lave, qui se situent dans le fond des cirques. Au-dessus, il y a le terrain qui glisse. C'est, en fait, une couche d'une centaine de mètres d'épaisseur qui avance de façon continue vers la rivière. 

-Ici, on est vraiment au pied du glissement. Regardez, là-haut, au-dessus, c'est une couche composée de blocs et de graviers. Et, en dessous, là où je suis, à cause de la pression et parce que la roche a avancé tout doucement le frottement a fait que la roche s'est transformée en argile. C'est ce que les scientifiques appellent la couche savon, parce qu'elle va accentuer les déplacements du terrain. 

-En effet, sous le glissement, les blocs et les graviers se transforment petit à petit en argile. Cette argile va, elle aussi, favoriser les déplacements. 

-Mais cette situation n'est pas nouvelle. En 1980, le cyclone Hyacinthe a précipité 3,5 m d'eau en 3 jours dans le cirque de Salazie. Les sols se sont complètement gorgés d'eau. Et sur cette route, qui mène à Grand-Îlet, le sol s'est soudainement mis à glisser vers les pentes et des cases ont été ensevelies. 

-Depuis les désordres créés par le cyclone Hyacinthe en 1980, une série d'études sur le sous-sol de l'ensemble des cirques, et, plus particulièrement, le cirque de Salazie, ont été menées. Depuis 2003, dans le cadre du projet MvTerre, c'est le BRGM qui coordonne et réalise la majorité  des recherches sur le glissement grâce à l'appui financier de l'Europe, de l'État, de la région et du département. Depuis cette date, des résultats novateurs ont été régulièrement publiés. 

-Les scientifiques du BRGM ont disposé différents capteurs dans des endroits stratégiques afin de prendre des mesures très précises et de surveiller de près les mouvements des 3 cirques. D'ailleurs, Romain est en train de travailler. 

-Bonjour, Romain. 

-Bonjour. 

-Quels sont les différents capteurs que vous utilisez ? 

-Ici, on a un GPS, qui enregistre les déplacements quasiment en temps réel. On en a 10 installés comme ça à Salazie. Sur certaines maisons, on a mesuré des déplacements de 10 m depuis 2003. 

-Ce ne sont pas les seuls outils que vous utilisez. 

-Je vais vous montrer d'autres techniques pour mesurer les déplacements. 

-Là, ce n'est pas un instrument, mais une borne, qui vous sert pour vos mesures. 

-On a aussi 150 bornes géodésiques réparties sur les 3 cirques de La Réunion, qu'on vient mesurer tous les 6 mois avec cet appareil, un GPS. Ça nous permet de calculer les déplacements au niveau de chacune de ces bornes. 

-Ces mesures vous servent à quoi ? 

-Plus concrètement, ça nous permet de localiser les endroits où il y a des mouvements et ceux où il n'y en a pas. 

-Le suivi du glissement de terrain de Grand-Îlet met en évidence qu'il est en mouvement permanent. Les différentes parties de l'Îlet n'avancent pas à la même vitesse. La vitesse de déplacement augmente depuis le haut du glissement vers le bas du glissement. Ainsi, à l'avant, le terrain se déplace de 30 à 55 cm par an. Dans la partie centrale, celle qui est habitée, le sol bouge de 15 à 30 cm par an. Ces vitesses diminuent ensuite progressivement vers l'arrière du glissement. Les dégâts les plus importants se produisent à la jonction entre ces différents compartiments. Malheureusement, le glissement ne peut pas s'arrêter contre le rempart qui est en face, car la rivière emporte continuellement les matériaux. Le terrain avance donc sans trouver d'obstacles. En contrebas d'Hell-Bourg, de l'autre côté du cirque de Salazie, les vitesses de déplacement sont encore plus importantes. Et des habitations se sont même déplacées de plus de 10 m au cours des 10 dernières années. Sur cette photo aérienne, on voit le tracé des routes et, en jaune, la position des maisons il y a 10 ans. Tout s'est déplacé de 10 m vers le Nord. 

-Bonjour, Pierre. 

-Bonjour. 

-Vous cherchez de l'eau potable ? 

-Non, on fait des prélèvements d'eaux souterraines. C'est de l'eau qui vient du sous-sol. C'est pour mieux comprendre comment fonctionne le glissement. Cet ouvrage, c'est un piézomètre. C'est un forage qui descend jusqu'à 100 m de profondeur et qui permet de suivre les eaux souterraines à l'intérieur du glissement. Le niveau de l'eau souterraine est, à peu près, à 30 m de profondeur. Son suivi va nous permettre de comprendre comment l'eau s'infiltre dans le glissement et comment elle circule dans le milieu souterrain. 

-L'eau joue donc un rôle dans les déplacements. Je pensais que c'était l'inclinaison de la pente et la couche savon. 

-Pas seulement, les habitants de Grand-Îlet le savent bien, quand il pleut sur Salazie, il y a des accélérations du glissement. 

-C'est un peu abstrait. Pouvez-vous me montrer comment ça fonctionne ? 

-Le tas de sable, c'est le glissement de Grand-Îlet et la plaque de verre, c'est son substratum, la base du glissement. On voit que, dans cet état, le glissement glisse très doucement. On ne voit pas de déplacements à l'œil nu. En saison sèche. C'est l'état en saison sèche. En saison des pluies, lorsqu'il y a une pluie, on va voir que les déplacements s'accélèrent. On voit le glissement qui commence à accélérer. On voit très bien que l'eau a une action très importante. 

-On voit même les fissures. 

-On voit qu'elles sont beaucoup plus nombreuses dans la zone la plus rapide, en pied de glissement, alors que la zone amont, qui est moins rapide, a moins de déformation. 

-C'est impressionnant. 

-Les principaux moteurs du glissement à Grand-Îlet sont la gravité, qui reste toujours la même au cours du temps, et le niveau des eaux souterraines. Les études les plus récentes ont montré que les variations de ce niveau d'eau dans le glissement avaient une influence sur la vitesse de déplacement du sol. Quand le niveau d'eau augmente, le frottement diminue à la base du glissement et, donc, les déplacements sont plus importants. La pluie joue donc le rôle d'accélérateur des mouvements. A chaque saison des pluies, l'ensemble du glissement accélère. Pendant la saison sèche, le glissement ralentit, mais continue d'avancer, car le niveau de la nappe reste suffisamment haut même s'il ne pleut pas. Les habitants le savent bien, la saison des pluies est la période où de nouvelles fissures se forment dans les maisons et sur les routes. 

-Bertrand, vous êtes le chef du projet MvTerre. En quoi les recherches du BRGM ont-elles été intéressantes ? 

-Tout d'abord, on étudie un phénomène qui est quasiment unique au monde en raison de sa taille. C'est l'ensemble du village de Grand-Îlet, de quelques kilomètres carrés, qui glissent sur une centaine de mètres d'épaisseur, et cela vers la ravine. 

-On est sur un sol qui bouge en permanence. C'est pas très rassurant. Est-ce dangereux pour les habitants ? 

-Un des objectifs du projet était aussi de rassurer la population en caractérisant le fonctionnement du glissement de terrain. Dans ce cadre-là, on a pu mettre en évidence que le phénomène ne s'emballait pas, qu'il avance régulièrement avec des phases d'accélération sans phénomène d'emballement soudain. 

-Il y a des risques ? 

-On peut en retrouver. Notamment des coulées de boue. 

-Ça veut dire qu'aujourd'hui, grâce à ces différentes études, vous connaissez bien le phénomène des glissements de terrain. 

-On a pu vraiment mieux l'appréhender par cette modélisation et le suivi qu'on a pu mettre en place. On a pu identifier le rôle de la pluie, celui des eaux souterraines et les relations entre celles-ci et les déplacements. 

-Merci, Bertrand. Alors, la voix, tu as compris pourquoi les études du BRGM sont si importantes dans les cirques ? Pour comprendre les glissements de terrain. 

-Oui, Katiana, et ces résultats sont aussi importants, car ils permettent d'imaginer des moyens pour ralentir les glissements, car, si un jour, une solution devait être envisagée pour freiner les glissements de Salazie, ces études ont permis de comprendre que c'est aussi sur les eaux souterraines qu'il faudrait agir.