Dans la revue Géosciences n°25 du BRGM, intitulée « L’anthropocène, quand l’Homme imprime sa marque », François Gemenne, auteur de l’Atlas de l’Anthropocène, détaille les grands impacts de la crise écologique actuelle et insiste sur son aspect global, remodelant en profondeur le système Terre.
7 avril 2021
Portrait de François Gemenne

Portrait de François Gemenne, auteur de l’Atlas de l’Anthropocène, spécialiste des questions de géopolitique et d’environnement.

© Alexandre Paumard

Extrait de l’interview publiée dans la revue Géosciences n°25 : « L’anthropocène, quand l’Homme imprime sa marque ».

François Gemenne est chercheur du FNRS à l’Université de Liège, directeur de l’observatoire Hugo. Membre du GIEC, il est spécialiste des questions de géopolitique et d’environnement, qu’il enseigne à Sciences Po et à la Sorbonne.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’on entend par Anthropocène ?

François Gemenne : Il existe deux définitions de l’Anthropocène. La première est la définition géologique du terme, à savoir la création ou pas d’une nouvelle ère géologique, qui serait caractérisée par l’impact de l’homme sur la planète et sa capacité de transformation du globe. C’est la Commission de stratigraphie de l’Union internationale des sciences géologiques qui doit trancher sur ce sujet. Elle y travaille toujours. Il existe une autre définition, plus politique, de l’Anthropocène. On réalise aujourd’hui qu’il n’est plus possible de considérer la Terre et ses occupants comme des entités séparées, car l’action de l’homme sur son habitat est majeure. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai écrit cet atlas de l’Anthropocène : les questions environnementales sont habituellement traitées dans les débats publics. J’ai voulu montrer qu’elles étaient liées, qu’il s’agissait d’une crise globale. De la même manière, dans le traitement de ces questions, on ne peut pas séparer les sciences sociales et les sciences dites dures. Pendant longtemps, on a considéré que les unes n’avaient rien à voir avec les autres ; or c’est une absurdité : le cycle du carbone est profondément lié au prix du carbone, par exemple.

Quels sont pour vous les impacts majeurs de l’Anthropocène au niveau mondial ?

F. G. : Je pense que l’impact majeur de l’Anthropocène reste à venir. En fait, il est diffi cile de dire en quoi il consistera, car cela dépendra de nous, de notre capacité à prendre des mesures permettant de lutter contre les effets sur la planète par des perturbations apportées par l’homme. Ensuite, certains marqueurs de l’Anthropocène sont évidents : on peut citer le changement climatique, la baisse de la biodiversité, la pollution des sols… Ce dernier phénomène, particulièrement préoccupant, passe souvent sous les radars. Les gens n’y prêtent pas attention, car il s’agit d’une pollution invisible. Mais celle-ci, qu’elle soit générée par les pesticides, les métaux lourds ou des déchets de diverses natures, va rester présente durant des siècles ! Il y a aussi le problème des submersions marines qui vont s'aggraver en raison du réchauffement climatique… Avec la montée du niveau des mers, dans 25 ans, le Vietnam aura perdu 10 % de son territoire ! De grands travaux d’infrastructures seront nécessaires pour protéger les terres. La question est : quels territoires et quelles populations va-t-on protéger ? Je doute que les populations les plus vulnérables soient prioritaires.

Quels vont être les principaux impacts en France ?

F. G. : La France va connaître une perte de plus en plus importante de la biodiversité, une réduction de ses forêts. Les épisodes caniculaires vont être de plus en plus fréquents, entraînant une multiplication des feux de forêt et des épisodes de sécheresse. Des activités économiques, comme l’industrie du vin et le tourisme, vont être impactées. Dans les villes, la problématique des îlots de chaleur urbains s'accentuera. Cela aura de plus en plus d’impact, à plus forte raison si on est confinés de nouveau à cause d’une épidémie.

Il va falloir revoir l’aménagement du territoire également. Les zones d’habitat et d’activité économique situées au niveau de la mer, confrontées au risque de submersion, devront déménager.

Lavu del'Oriente, Haute-Corse

Les questions environnementales sont habituellement traitées séparément dans les débats publics. J’ai voulu montrer qu’elles étaient liées.

François Gemenne

Comment s’adapter alors ?

F. G. : Il va falloir faire notre deuil. Il faudra accepter qu’on ne puisse pas retourner en arrière sur certains sujets. Il faudra faire notre deuil par exemple de certaines espèces, de certaines températures, de certaines activités. Les changements de température et la montée du niveau de la mer, par exemple, irréversibles. Dans le futur il va falloir apprendre à organiser les migrations et répartir les gens dans les zones habitables et non habitables. Par exemple, en Indonésie, le gouvernement a choisi de déplacer la capitale politique du pays sur l’île de Bornéo, car Jakarta va se retrouver en partie sous les eaux d’ici trente ans ! Le problème est qu’on attend toujours le dernier moment pour agir.

Y a-t-il quand même des raisons d’espérer ?

F. G. : Il y a heureusement eu des créations d’infrastructures dédiées aux questions environnementales, des changements de modes de vie, des techniques d’habitat, des changements dans les migrations. Il y a eu de vraies évolutions dans la population, qui s’observent dans les sondages. La presse est beaucoup plus attentive aux questions environnementales. L’Atlas a été un succès d’édition, alors qu’il y a cinq ans personne ne se serait intéressé à un livre sur l’Anthropocène. C’est un succès à mettre au crédit des jeunes qui se sont mobilisés. Cela va se traduire dans les élections. Je pense en revanche que s’il n’y a pas de réorientation massive, de remise en cause profonde des investissements et des subventions publiques et privées, on n’arrivera pas à changer la donne. Il faut activer les leviers macroéconomiques ! Sur la question du climat par exemple, les comportements individuels ne peuvent infl uer que sur 20 à 40 % des émissions de carbone. Et puis s’il n’y a pas d’investissements structurels, les gens se décourageront. Il faudra trouver des solutions sans crisper la population. Attention à ne pas nous couper d’une partie d’entre elle. Certaines petites mesures peuvent braquer les gens et nuire aux changements à long terme.

Couverture du numéro 25 de la revue Géosciences

Couverture du numéro 25 de la revue Géosciences.

© BRGM

Revue Géosciences n°25 : l’anthropocène, quand l’Homme imprime sa marque

Le terme anthropocène a été inventé par le climatologue Paul Crutzen au début des années 2000. Il signifie que pour la première fois depuis l’apparition de l’humanité, l’homme exerce un tel impact sur la planète qu’il est devenu une force géologique à part entière, déterminant potentiellement une nouvelle ère géologique.

Ce numéro de la revue Géosciences du BRGM commence par la controverse géologique autour de la notion d’anthropocène en tant que nouvel âge géologique, par Colin Waters, membre du comité de stratigraphie. Il détaille ensuite certains des impacts majeurs de l’homme sur la planète et comment y remédier.

Le numéro comprend également deux interviews de François Gemenne, auteur de l’atlas de l’anthropocène, puis de Jean Daniel Rinaudo, socio-économiste de l’eau. Un portfolio sur les travaux de la chambre à sable d’Orléans, et un carnet de terrain sur les travaux de dépollution de sols grâce au pilote d’expérimentation Prime complètent ce numéro.