Les méthodes classiquement utilisées en économie de l’environnement pour évaluer les bénéfices de la préservation des eaux souterraines (coûts évités, évaluation contingente) peuvent s’avérer peu adaptées pour justifier les coûts des actions de préservation sur le long-terme, notamment lorsque les ressources ne sont pas utilisées actuellement. Basée sur le concept de services écosystémiques, la démarche d’évaluation développée par le partenariat de recherche CARAC’O ne s’intéresse pas uniquement aux services délivrés par la ressource en eau souterraine elle-même, mais considère comme des bénéfices l’ensemble des services délivrés par les écosystèmes présents sur la zone à préserver, et compatibles avec le maintien en bon état de la ressource en eau souterraine.
24 mars 2017
Services écosystémiques délivrés par la zone de sauvegarde pour le futur (ZSF) des contreforts nord de la Sainte-Baume (avec une étoile : services ayant fait l’objet d’une évaluation économique).

Services écosystémiques délivrés par la zone de sauvegarde pour le futur (ZSF) des contreforts nord de la Sainte-Baume (avec une étoile : services ayant fait l’objet d’une évaluation économique).

© BRGM

Ce type d’argumentaire est particulièrement adapté aux zones de sauvegarde pour le futur recelant des ressources en eau de bonne qualité dont l’usage pour l’alimentation en eau potable est faible ou inexistant et dont la préservation consiste à maintenir en l’état une occupation du sol ou des activités qui soient compatibles avec le bon état des eaux souterraines.

Contexte

Des zones de sauvegarde pour le futur (ZSF) sont en cours de délimitation dans les Schémas Directeurs d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGEs). Ces zones recèlent des ressources en eau souterraine de bonne qualité, importantes en quantité (mais parfois pas ou peu utilisées aujourd’hui), et bien situées par rapport aux zones de forte consommation actuelle et future. La préservation des ZSF implique de maintenir en l’état une occupation des sols et des activités qui soient compatibles avec le bon état des eaux souterraines. Cela peut contraindre dans une certaine mesure le développement urbain et le développement de nouvelles activités économiques. La préservation de ces zones peut s’avérer difficile à mettre en œuvre, puisqu’elle implique des coûts immédiats alors que les bénéfices sont actuellement peu tangibles, hypothétiques sur le long terme, et de nature et d’intensité qui peuvent être difficiles à percevoir par les acteurs.

Objectifs

L’objectif général du projet CARAC’O était de développer un argumentaire économique qui mette en avant l’intérêt de préserver les territoires sur lesquels sont localisées ou se constituent les ressources en eaux souterraines afin de faciliter l’adhésion et la mobilisation des élus, équipes techniques et collectivités autour des enjeux liés à leur préservation. Cette fiche présente l’un des volets du projet qui a permis de développer et de tester une démarche d’évaluation des bénéfices associés à la préservation des ZSF non utilisées actuellement pour la production d’eau potable.

Evaluation "à dire d’expert" de l’importance des services écosystémiques présents sur la ZSF (0: service absent, 1: faible, 2: moyenne, 3: forte).

Evaluation "à dire d’expert" de l’importance des services écosystémiques présents sur la ZSF (0: service absent, 1: faible, 2: moyenne, 3: forte). 

© BRGM

Démarche

La démarche proposée consiste à identifier puis évaluer les services écosystémiques associés à la préservation des écosystèmes présents sur une ZSF, en se basant sur la classification du Millenium Ecosystem Assessment (MEA ,2005, Millenium Ecological Assessment. Millennium Ecosystem and Human Well-being: A framework for Assessment.), qui distingue quatre types de services :

  • les services d’approvisionnement ou de prélèvement qui conduisent à des biens "appropriables" (aliments, matériaux et fibres, eau douce, bioénergies) ;
  • les services de régulation c'est-à-dire la capacité à moduler dans un sens favorable à l’homme des phénomènes comme le climat, l’occurrence et l’ampleur des maladies ou différents aspects du cycle de l’eau (crues, étiages, qualité physico-chimique), ou à protéger de risques naturels (cyclones, tsunamis, pluies diluviennes);
  • les services culturels c'est-à-dire l’utilisation des écosystèmes à des fins récréatives, esthétiques et spirituelles, ou éducatives ;
  • les services de support ou d’entretien, non directement utilisés par l’homme mais qui conditionnent le bon fonctionnement des écosystèmes. Ces services sont garants de l’existence des trois autres catégories de services. Pour éviter les doubles comptes, ils ne font par convention pas l’objet d’évaluation économique.

L’analyse ne s’intéresse donc pas uniquement aux services délivrés par la ressource en eau souterraine elle-même, mais également aux services délivrés par les écosystèmes présents sur la ZSF, ceux-ci étant compatibles avec un bon état et une préservation de la ressource en eau souterraine. Une ZSF peut en effet être considérée comme une mosaïque d’écosystèmes (forêts, prairies, zones cultivées) fournissant toute une diversité de services écosystémiques aux populations de ce territoire (mais également au-delà), sans que les gestionnaires ni la population n’en ai nécessairement conscience.

Périmètre de l’étude

Cette démarche a été appliquée sur la ZSF des contreforts Nord de la Sainte-Baume (Var). Cette zone de sauvegarde, peu exploitée actuellement pour l’eau potable, s’étend sur près de 7400 ha constitués essentiellement de forêts et milieux semi-naturels. Elle recèle d’importants volumes d’eau souterraine potentiellement exploitables et de relativement bonne qualité (environ 4 millions de m3/an) et occupe une position stratégique par rapport à la desserte des zones de forte consommation du littoral varois.

Evaluation des bénéfices générés par les écosystèmes présents sur la ZSF.

Evaluation des bénéfices générés par les écosystèmes présents sur la ZSF. 

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Programme des travaux

L’évaluation des bénéfices associés à la préservation de la ZSF s’est déroulée en trois principales étapes :

  1. Pré-identification des services écosystémiques et des principaux producteurs et bénéficiaires de ces services sur la zone de sauvegarde, sur la base d’entretiens préliminaires avec des acteurs ayant une bonne connaissance du territoire étudié, et la consultation de documentation.
  2. Rencontre d’une vingtaine d’acteurs et de gestionnaires impliqués dans la préservation de la zone de sauvegarde : collectivités locales, services de l’Etat, Société du Canal de Provence et différentes fédérations et associations de représentants des usagers. L’objectif de ces rencontres était multiple : (i) confronter, et éventuellement adapter l’approche proposée au terrain, (ii) valider une liste de services pertinents pour la zone d’étude, (iii) recueillir des premiers éléments pour les caractériser, et (iv) évaluer l’importance accordée aux différents services par les acteurs du territoire.
  3. Evaluation économique des bénéfices associés aux services écosystémiques, sur la base des données collectées localement.

Résultats obtenus

Alors que la plupart des gestionnaires et acteurs locaux consultés ne connaissaient pas le concept de service écosystémique, la présentation de ce concept appliqué à la ZSF des contreforts Nord de la Sainte Baume s’est révélé être un outil très intéressant de dialogue et d’échange. En effet, les acteurs interrogés se sont rapidement approprié les différents types de services pré-identifiés qu’ils ont aisément associés à une réalité de terrain. Les entretiens ont par ailleurs confirmé la diversité et l’importance des services présents sur la zone.

L’évaluation économique a été menée sur neuf services écosystémiques : deux services d’approvisionnement (production agricole, production de bois), quatre services de régulation (fixation et stockage du carbone, régulation du cycle de l’eau, et rétention des crues), et quatre services culturels (pratique de la chasse, de la pêche, de la promenade et de la spéléologie).

Les bénéfices associés à la préservation de ces services sont estimés entre 2,9 et 5,4 millions d’€/an, soit entre 390 et 730 €/ha/an. Les plus gros contributeurs sont les services culturels qui représentent plus des deux tiers des bénéfices associés aux services écosystémiques fournis par la ZSF. Viennent ensuite les services de régulation qui représentent 23% des bénéfices, et dont les trois quarts sont imputables à la fixation et au stockage de carbone. Les bénéfices directement liés à la possibilité de produire de l’eau potable à partir de la ZSF ne représentent qu’une faible part (7%) des bénéfices délivrés par la préservation de la ZSF. Enfin, les services d’approvisionnement ne contribuent qu’à 8% des bénéfices, ce qui témoigne de la faible activité de production agricole et sylvicole sur la ZSF.

Alors que la préservation des ZSF non utilisées actuellement pour la production d’eau potable peut être difficile à justifier auprès des acteurs économiques, puisqu’elle implique des coûts immédiats, pour des bénéfices futurs souvent incertains, ces résultats illustrent que le maintien d’écosystèmes compatibles avec une bonne qualité de l’eau permet de délivrer, dès aujourd’hui, des bénéfices non négligeables à l’échelle d’un territoire, pour toute une diversité de bénéficiaires.

Partenaires

Partenariat de recherche CARAC’O, entre l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée et Corse et le BRGM.