Dans la région naturelle du Grand Ried en Alsace, de nombreux assecs ont été observés depuis 2015 sur les ruisseaux dits "phréatiques", c’est-à-dire directement alimentés par la nappe rhénane via des résurgences naturelles. Ces ruisseaux sont très sensibles aux variations des niveaux de la nappe lors des sécheresses météorologiques. La Commission locale de l'eau (CLE) du Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) Ill Nappe Rhin a souhaité approfondir ses connaissances sur le lien entre piézométrie, prélèvements en eau souterraine et asséchements des rivières.
26 octobre 2021
Sources du Riedbrunnen, site marquant de la région du Grand Ried impacté par la baisse de la piézométrie (Colmar, 2019).

Sources du Riedbrunnen, site marquant de la région du Grand Ried impacté par la baisse de la piézométrie (Colmar, 2019).

© BRGM

Le besoin

Les ruisseaux phréatiques sont remarquables par leur écosystème et leur biodiversité et constituent une part importante de l’identité du paysage de la zone du "Grand Ried", par ailleurs fortement agricole avec une prédominance de grandes cultures qui peuvent être à l’origine d’une demande supplémentaire en eau souterraine.

Dans un secteur peu habitué à une gestion quantitative de l’eau souterraine en raison de la présence du puissant aquifère rhénan, le SAGE souhaitait disposer de premiers outils et éléments de gestion pour répondre à la problématique locale. Pour répondre à ce besoin, le BRGM a été sollicité par la région Grand Est afin de mener un diagnostic s’appuyant sur l’acquisition de données ainsi que sur le développement de connaissances et de méthodologies scientifiques.

Une première étude, réalisée en 2016 et 2017, portait sur l’impact potentiel des prélèvements en eau souterraine sur les ruisseaux phréatiques dans le secteur du Grand Ried. Elle avait permis de mettre en lumière la corrélation entre l’abaissement du niveau piézométrique et le phénomène d’asséchements des ruisseaux "phréatiques" observées entre 2012 et 2017. La sensibilité des rivières à quelques centimètres supplémentaires d’abaissement du niveau piézométrique (en partie reliés à l’irrigation présente sur le secteur) avait également été mise en évidence. Cette première étude avait conclu sur la nécessité de poursuivre les investigations sur un certain nombre de points (caractérisation à une échelle fine des relations locales entre ruisseaux phréatiques et eaux souterraines, paramètres hydrodynamiques de la nappe, estimation des prélèvements agricoles). La Commission Locale de l'Eau du SAGE a par conséquent souhaité prolonger cette première analyse par un nouveau projet, nommé « GES’Eau’R », qui visait à interpréter les observations réalisées ces dernières années dans un contexte d’évolution plus globale des eaux souteraines sur le secteur et qui s’est construit autour des objectifs suivants :

  • Prolonger et affiner la connaissance sur les relations nappe-rivières dans le Grand Ried ;
  • Préciser la part de l’impact sur les cours d’eau des différents prélèvements en eau souterraine (tous usages confondus) ;
  • Réaliser deux essais de pompage servant de démonstrateurs sur des secteurs représentatifs de la zone d’étude ;
  • Mettre en place un réseau piézométrique resserré, complémentaire au réseau existant, et ayant pour finalité particulière de suivre le niveau d’impact des prélèvements en eau souterraine dans un futur cadre de gestion collective.
Suivi de la réalisation des pompages d’essais (Colmar, 2019).

Suivi de la réalisation des pompages d’essais (Colmar, 2019).

© BRGM

Les résultats

Le projet a permis d’identifier que la nappe d’Alsace, sur le secteur du Grand Ried, a globalement atteint, au cours des dernières années, les plus bas niveaux observés depuis la sécheresse historique de 1976, avec trois secteurs plus fortement impactés (sud de la réserve naturelle de l’Illwald, toute la partie ouest de l’Ill, en lien avec la zone de piémont et une bande orientée Sud-Nord entre la réserve de l’Illwald et quelques kilomètres à l’est du canal du Rhône au Rhin). La baisse du niveau de la nappe est moindre sur les zones où les rivières apportent une contribution à la nappe. C’est notamment le cas pour les rivières bénéficiant d’un soutien d’étiage du Rhin via le canal de Colmar. Le projet GES’EAU’R a en outre permis de mieux caractériser les échanges nappe-rivière à l’échelle globale du Grand Ried ; ainsi un apport progressif de la nappe est visible dans les cours d’eau phréatiques, le rôle de l’Ill est confirmé dans l’orientation des écoulements et le niveau de la nappe et le lien entre la hauteur d’eau des cours d’eau phréatiques et la profondeur de la nappe est avéré. Ce dernier point a permis de construire une carte de sensibilité des cours d’eau, basée sur les mesures du niveau de la nappe effectuées en juin 2019.

Le projet GES’EAU’R a également permis de préciser les impacts anthropiques sur les ressources en eau du secteur du Grand Ried. Les principaux enseignements relatifs à l’impact des prélèvements sont les suivants :

  • pas de modification visible des écoulements ou de la piézométrie imputable aux principaux prélèvements liés à l’alimentation en eau potable ou à l’industrie ;
  • la baisse des niveaux durant la période estivale imputable aux prélèvements agricoles a été quantifiée lorsque cela était possible : cela représente entre 30 et 70% de la baisse observée sur les piézomètres ;
  • les effets des pompages ont été analysés au niveau local, en cumulé et au niveau global. Localement, l’effet d’un prélèvement individuel en nappe à proximité d’un cours d’eau entraîne un transfert de l’eau du cours d’eau dans la nappe et, au bout d’un certain temps dans le puits de pompage. Le cumul de différents pompages a un effet à la fois sur la zone d’incidence autour des cours d’eau et sur la durée d’impact. Et, plus globalement, la baisse induite du niveau de la nappe peut entrainer l’augmentation des pertes des cours d’eau vers la nappe et l’asséchement des résurgences ;
  • l’ensemble des éléments hydrodynamiques (résultats des pompages d’essais et comportement global de la piézométrie) indiquent que la baisse généralisée de la piézométrie est un facteur prépondérant dans la mise en assec des cours d’eau.

Les travaux menés sur la région du Grand Ried permettent ainsi d’obtenir une vision spatialisée de la très forte interconnexion entre les eaux souterraines et les cours d’eau et montrent un effet cumulé des prélèvements entraînant une baisse non négligeable en période estivale des ressources en eau disponibles, amplifiée dans certains secteurs. Ce constat, qui s’inscrit en outre dans un contexte de changement global (fréquence accrue des phénomènes de sécheresse), renforce le besoin de mise en oeuvre d’une gestion quantitative globale.

Des pistes de travaux complémentaires et des verrous scientifiques ont par ailleurs été recensés. Il s’agit notamment d’améliorer la connaissance de la consommation en eau des cultures et des zones forestières et de disposer de données supplémentaires pour améliorer les bilans hydrologiques.

Sources du Riedbrunnen, site marquant de la région du Grand Ried impacté par la baisse de la piézométrie (Colmar, 2019).

Cette étude, qui montre que c’est l’irrigation qui pèse le plus sur la ressource, nous permet d’identifier les zones les plus vulnérables. Elle fournit des éléments scientifiques en vue d’aboutir à une convention de partenariat avec tous les utilisateurs.

Bernard Gerber, président de la Commission locale de l’eau

L’utilisation

Le BRGM poursuit ses travaux scientifiques sous la forme d’une concertation entre les différents usagers de l’eau sous la conduite de la CLE du SAGE Ill Nappe Rhin. Deux axes sont privilégiés : la recherche d’optimisation du soutien d’étiage des rivières, notamment via le Rhin, et l’optimisation des prélèvements, notamment en lien avec l’irrigation.

En parallèle le BRGM a mis à disposition des services plusieurs outils de gestion spatialisés qui fournissent des éléments techniques nécessaires à une meilleure gestion quantitative des ressources en eau :

  • 5 piézomètres de référence permettant de suivre la situation des cours d’eau sur 5 secteurs homogènes ;
  • indicateurs piézométriques reliés aux impacts sur les cours d’eau permettant un suivi de l’état de la nappe et potentiellement la mise en place de mesures particulières de gestion des prélèvements ;
  • estimation du débit prélevé par un pompage sur un cours d’eau suivant différentes hypothèses et configuration ;
  • carte de sensibilité des cours d’eau permettant d’évaluer les cours d’eau susceptibles d’être le plus fortement impactés par la baisse de la piézométrie.
Suivi de la réalisation des pompages d’essais (Colmar, 2019).

Le BRGM nous a aidé à mieux comprendre les différents mécanismes à l’œuvre. C’est important pour caractériser le problème et jeter les bases d’outils opérationnels en vue d’améliorer la recharge de la nappe et de voir, notamment, comment l’agriculture pourrait s’adapter pour diminuer les volumes prélevés.

Pascal Vauthier, chargé d'interventions Agriculture et pollutions diffuses à l’Agence de l'eau Rhin Meuse

Les partenaires

  • SAGE Ill Nappe Rhin
  • Région Grand Est
  • DREAL Grand Est, DDT du Haut Rhin et du Bas Rhin, OFB du Haut Rhin et du Bas Rhin, Chambre d’agiculture Alsace, APRONA